Chapitre 36

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La fête battit encore son plein jusqu'au lendemain. Les jeunes filles passèrent leur dernière nuit dans le palais royal avant de retourner chez elles, dans le monde des Humains. Et que fera Dorémi, ensuite ? Elles s'étaient promises de revenir voir Flora, de toutes se revoir, lorsque la méchante succube sera vaincue. Et maintenant qu'elles l'avaient fait ? Cela allait-il réellement se dérouler ? Et elle appréhendait, et elle prenait peur à l'idée de se retrouver sans ses amies de nouveau, sans le Monde Magique, sans les sorcières. Pourtant, il y avait cinq ans, elle avait dit qu'elle ne deviendrait pas une sorcière, qu'elle resterait une humaine. Et après cette décision, elle avait renfilé sa tenue de sorcière, pour combattre à nouveau une menace.

Et elle commençait à douter d'elle-même. Que devait-elle faire ? Lorsqu'elles s'étaient réveillées avant de passer la porte vers la Terre, la Reine des Sorcières leur avait proposé de reprendre en considération la proposition qu'elle leur avait faite, lorsqu'elles avaient dix ans.

« Vous pouvez encore devenir des sorcières, » leur avait-elle dit. « Nous vous serons éternellement reconnaissantes pour tout ce que vous avez fait. »

Ses paroles avaient été profondes. Elle les avait non seulement remerciées d'avoir sauver Flora de Magdeleine, mais aussi pour tout ce qu'elles avaient fait, avant cela. Et maintenant, Dorémi ne savait pas quoi faire. Quelle était sa nature la plus développée, en réalité ? Humaine ? Sorcière ? Chacune de ces existences avaient ses avantages et ses inconvénients. Il y avait cinq ans, elle avait décidé de rester humaine pour ne pas voir sa famille vieillir et mourir. Le temps était passé, et cette réalité était toujours présente en son esprit. Mais les cinq dernières années passées sans pouvoir de sorcière lui avaient montré à quel point elle pouvait être mal à l'aise sans le monde de la magie.

Et maintenant ? Et bien maintenant, elle marchait avec Bibi à côté d'elle, et se dirigeait vers leur maison.

« Tu te rappelles de ce qu'on avait dit à papa et maman ? » La questionna Bibi.
« Hum ? » Marmonna-t-elle, à moitié dans ses pensées.
« Nous étions à la plage, avec les filles. On voulait prendre des vacances d'été ensemble. »
« Ah, oui. »

Elles arrivèrent au niveau de la porte, et Dorémi pressa la sonnette. Son père ouvrit la porte juste quelques secondes plus tard, et eut un large sourire en les voyant.

« Dorémi ! Bibi ! Mes chéries ! Vous nous avez tellement manquées ! » S'écria-t-il en ouvrant grand la porte.

Elles entrèrent avec leurs sacs de voyages – qu'elles avaient fait exprès de préparer juste avant de quitter la ville – et bondirent dans les bras de leur mère quand elle s'approcha d'elles.

« Les filles ! C'était tellement calme, sans vous ! » Dit-elle en les couvant du regard. « Alors ? Qu'est-ce que vous avez fait ? »

Ce fut Bibi qui se chargea principalement de leur raconter des mensonges, en appuyant sur le coude de sa grande soeur pour qu'elle ajoute un détail ou approuve sa version des faits en riant. Enfin, en faisant exprès de rire. Elle avait encore les paroles de la Reine. Prendre en considération le pour et le contre. Chercher ce qui lui correspondait le mieux. Et elle se posait encore des questions, sur le tout de la vie, et sur son rien, aussi. Parfois, elle avait l'impression d'être une boulette, avec ses questionnements pour le moins étranges. Au bout d'un moment, elle décida qu'il était temps d'aller respirer un peu. Elle mit un gilet, et annonça à sa famille qu'elle allait sortir prendre l'air.

Elle enfila ses chaussures et sortit dehors, juste pour sentir l'air passer dans ses cheveux, voir le ciel bleu recouvert de quelques nuages blancs moutonneux, de pouvoir reposer son esprit un peu. De juste… S'évader. Et puis elle arpenta lentement les rues de la ville, suivant du regard les passants, les voitures qui passaient, presque sans les voir. Elle voulait juste oublier toutes les responsabilités qu'impliquaient ces décisions à prendre. Oublier qu'elle était toujours cette boulette de service qui ne trouvait pas un repère stable, une véritable voie à suivre.

« Dorémi. »

La jeune fille se retourna en entendant son nom. C'était François. Elle se sentit un peu embarrassée et tourna la tête vers le sol. Ils ne s'étaient pas vu depuis… Et bien, depuis qu'ils avaient rompu, et ensuite depuis qu'il avait appris, disons, assez brutalement, qu'elle était une sorcière. Alors elle continuait de fixer le sol, songeant qu'il allait partir. Cependant, il s'approcha d'elle.

« Euh… Excuse moi. J'ai vraiment été bête, la dernière fois. » Lâcha-t-il d'une voix gênée.

Oui, il avait été complètement stupide de sortir des stupidités pareilles ! Elle avait même envie de le gifler rien qu'en y repensant. Cependant, il en était vraiment désolé, elle le ressentait. Et puis, ce n'était pas leur querelle qui lui faisait le plus peur.

« Est-ce que je te fais peur ? Je veux dire, pour… » Commença-t-elle.
« Que t'es une sorcière ? » Répondit-il.

Cela la surprit encore. Elle n'était pas habituée à ce qu'en dehors des filles et des sorcières, on l'appelait ainsi. Elle prit une mèche de ses cheveux entre ses doigts et l'entortilla lentement, toujours embarrassée par la situation. Sa mèche allait ressembler à une pâte italienne, à force de la faire tourner comme ça…

« Et bien, je dois avouer que ça m'a surpris. Mais je trouve ça chouette. Et puis… ça te correspond, vraiment. Enfin, je veux dire, t'es pas une sorcière comme dans les contes de fée ! Je veux dire, pour la magie. » Répondit-il maladroitement.

Elle lui sourit, un peu rassurée.

« Merci, François. » Lui dit-elle.
« Tu… Tu ne voudrais pas qu'on marche un peu ensemble ? »
« Non, excuse moi. J'aimerais passer un peu de temps seule. »

Il la regarda, hésitant, avant de hocher la tête. Et il s'éloigna lentement d'elle, pour reprendre son chemin. Elle le suivit du regard, puis reprit à son tour sa petite promenade. Elle passa encore un long moment à admirer les paysages de son enfance, et de son adolescence aussi, elle avait presque l'impression d'être vieille, tant cela était à la fois familier et lointain à ses yeux. Elle finit par s'apercevoir que le soleil était en train de se coucher, et lentement, elle retourna chez elle.

Elle passa la porte, enleva ses chaussures qu'elle laissa à l'entrée, puis entra au salon. Elle y vit son père, qui était en train de regarder la télévision.

« Papa. Où est maman ? »
« Elle est dans la cuisine » dit-il.

Dorémi se rendit alors dans la cuisine, et y vit sa mère, qui était tranquillement en train de préparer le repas. La jeune fille sentit une odeur familière qui la fit baver soudainement :

« Des steaks ! »
« Et oui ! Je vais vous faire plaisir, ce soir ! C'est votre grand retour ! » Répondit sa mère en riant un peu.
« Il y avait vraiment une ambiance de mort, sans nous ? » Lui demanda l'adolescente.
« Pas de mort, mais ça s'en rapprochait. » plaisanta-t-elle.

Dorémi se rapprocha pour aider sa mère, et commença à laver la vaisselle. Cela lui faisait du bien de retourner dans les vieilles tâches ménagères. Elle aurait habituellement grogné, après que sa mère lui ait forcé à venir s'occuper de la vaisselle.

« Dit moi, maman. » Lâcha Dorémi avec sérieux. « J'ai une question à te poser. »
« Je t'en prie, je t'écoute. »

Elle inspira profondément, puis commença :

« Et bien, une amie m'a dit qu'elle partait faire ses études très loin d'ici. Et qu'elle ne reviendra plus voir ses parents, parce qu'elle était sûre de trouver un bon travail, là bas. Enfin, elle sera très heureuse, il ne lui manquera de rien. Et puis, je me suis demandée… S'il m'arrivait la même chose ? Tu me laisserais partir, te quitter ? A jamais ? »

Il était évident qu'elle venait de lui poser le dilemme auquel elle était confrontée de manière indirecte, mais sa mère n'eut pas l'air de s'en rendre compte. Alors elle lui répondit, avec un large sourire :

« Et bien… Je serais triste de te laisser comme ça, mais… Si tu es heureuse, épanouie, avec tout ce qu'il te faut. Et si tu es bien plus heureuse là bas, même si tu ne vois plus ta famille, et bien… Je te laisserais partir. »

Les yeux de l'adolescente s'écarquillèrent d'étonnement. Elle ne s'était pas attendue à une réponse pareille de sa part. Elle s'attendait même à quelque chose de négatif ou de sur protecteur. Alors elle cligna des yeux quelques secondes, se persuadant que cela n'était pas un rêve, en se retenant de se pincer ou de demander à sa mère de le faire à sa place.

« Merci, maman. »

Elle demeura quelques secondes silencieuse, avant de se souvenir qu'elle avait posé la situation comme si c'était celle d'une amie, et non la sienne. Alors elle se gratta le derrière de la tête en se justifiant maladroitement :

« Enfin, ha ha ! C'est ce qu'aurait dit cette fille à sa maman ! Et… Je te remercie aussi, d'accepter cette décision, si cela m'arrivait… Enfin, rassure toi, je parle seulement, ça n'arrivera pas ! »

Et elle rit nerveusement, en tournant la tête vers la poêle dans laquelle était en train de cuir son vénéré steak. Elle sentait par dessus son épaule le regard interrogatif de sa mère.

« Quelque chose ne va pas, Doremi ? »
« Non non, tout va bien ! »

Pourtant, elle savait qu'elle pouvait lui dire qu'elle voulait être une sorcière, qu'elle n'allait plus vieillir comme une humaine mais vivre ses rêves. La malédiction avait été levée depuis bien longtemps maintenant.

Mais elle n'y parvenait pas. Elle ne se sentirait donc jamais prête ?

Magical Doremi : Le peuple oubliéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant