Chapitre 32

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Il n'y a aucun bruit dans la maison, il vaut mieux être très discrète. Je prends la fourchette, je ne sais même pas comment faire. Je vais le faire à l'instinct, j'essaye de rentrer le tout dans la serrure et forcer. Je commence à plier les dents et parviens à les insérer à l'intérieur. Je pousse et tourne doucement, mais pour l'instant rien. Il faut absolument que je déverrouille cette foutue serrure, ma survie en dépend ! J'y retourne et cette fois en insistant à un endroit qui résiste quand soudain, j'entends la gâchette qui réagit. Génial ! J'appuie plus fort et sens qu'elle va lâcher. Tout à coup, je tiens la bonne prise et arrive à basculer le loquet. La porte s'ouvre... J'évite de crier de joie, mais j'avoue être très fière de moi ! Ce serait dommage de se faire démasquer maintenant. Aussi je regarde de gauche à droite et je ne vois personne, c'est encore une chance. Décidément, c'en est presque insolent ! On dirait que la roue tourne enfin.

Je suis face aux escaliers, rien, je ne cherche pas à visiter et je descends en direction de la porte d'entrée. Toujours personne, j'actionne les clés qui sont dessus et me retrouve dans le jardin. Je longe la propriété pour débarquer dans une rue.

Je souris en levant les bras vers le ciel et commence à courir comme une folle. Je ne peux m'empêcher de trouver cette évasion plutôt facile quand un véhicule vient dans mon dos. Je m'engouffre dans une ruelle sombre pour m'y cacher. Et si c'était Luc ? Je respire, entre le stress et la course, j'ai le cœur au bord des lèvres. Mais la voiture ne s'arrête pas et cela me rassure. J'attends quelques secondes pour retrouver un peu de tonus puis je sors tranquillement, mais à peine ai-je remis le pied dans l'avenue que j'entends :

- Toi ! Ne bouge pas !

C'est un des hommes de Luc, il est sur mes talons et je décide de partir en sens inverse. J'ai peur, il ne faut pas que je me fasse reprendre, ce n'est pas possible. J'essaye de courir de plus en plus vite, mais j'ai un point de côté maintenant. Je perds de la vitesse quand le garde se rapproche toujours plus de moi. Si seulement quelqu'un pouvait me voir, je pourrais hurler, demander de l'aide... Mais la rue est désespérément vide à cette heure-ci ! Je ralentis, je pleure, je menace de faire une nouvelle crise.

Eden ! Pourquoi m'as-tu abandonné ? J'ai besoin de toi, sauve-moi !

Mon bras est saisi par une poigne puissante et je bifurque d'un coup. Il m'enserre fermement, et je tente de donner des coups de pied, de le mordre. Je suis à bout de souffle, j'ai mal lorsqu'il me fait tomber au sol face à lui. J'ai la joue sur le bitume, une main tenue dans le dos, et n'ose même plus me débattre quand une voiture s'approche et se gare devant nous. Je ne vois que ses putains de chaussures de marque, c'est Luc ! Il me prend par les cheveux et me soulève.

- Gabrielle ! Tu ne me rends pas les choses faciles ! Si tu aimes tant que ça te balader en pleine nuit, je vais trouver les moyens de te faire changer d'avis ! Faites-la rentrer dans la voiture, je vais m'occuper d'elle.

Je suis poussée violemment dans le véhicule et l'on me ramène au point de départ. Ma chance n'a finalement pas tourné, et je sens que je vais regretter amèrement ma tentative avortée de fuite. À cet instant, j'aurais presque envie de mourir.

Je ne perçois plus les gestes brusques qu'ils me font quand Luc impose :

- Dans la cuisine, tout de suite, déchaussez-la !

On me pousse comme une esclave et l'on m'enlève mes baskets. Luc allume le gaz et prend une sorte pointe en fer qui sert à saisir les viandes. Il le place sur le feu et attend qu'il rougisse.

Alors je comprends ce qu'il va faire et je panique.

- Luc, non ! Ne fais pas ça, je ne vais plus m'enfuir !

- Ta gueule ! De toute manière, si ce n'est pas moi, ce sera ton nouveau propriétaire qui le fera !

Il se tourne vers ses hommes et demande d'une voix autoritaire :

- Empêchez-la de bouger, ça ne va pas durer longtemps.

- Attends ! Pourquoi me fais-tu subir ça ?

- Parce que j'ai été contraint de t'épouser et en plus tu n'as pas hésité à me trainer dans la boue ! Tu m'as trahi ! Avec tous les sacrifices que j'ai faits pour toi, tu as osé me tromper !

- S'il te plait, pardonne-moi. Tu as l'argent, tu n'es pas obligé d'être cruel ! J'ai toujours été parfaite, j'ai fait une erreur, je m'excuse...

- Tu plaisantes ? S'il était là, je serais sans doute à ta place ! Quand il m'a cassé le nez, tu t'es bien réjouie de ça ! Tu es morte pour moi, tu n'as plus d'identité et maintenant tu n'es qu'une monnaie d'échange ! Tu veux que j'aie pitié de toi ? Mais ma pauvre Gaby, tu n'as pas eu pitié de moi, pas une seule fois !

Je sanglote, je supplie, mais il est si déterminé qu'il continue sans ménagement :

- Tenez-la bien.

Sa colère est indescriptible et je tente de dégager mes pieds du pic incandescent, mais d'un geste il le pose sur ma peau. Je crie si fort que les personnes qui me bloquent relâchent presque leur emprise. Puis il passe au second, je sens que je vais m'évanouir. Ils ne me retiennent plus et je tombe de la table sur laquelle ils m'ont placé en me recroquevillant.

Puis d'un mouvement sec, il jette la pointe au sol et disparait.

Je suis toujours sur le carrelage, je tremble et personne n'ose bouger quand finalement, l'homme qui m'a rattrapé dans la rue me soulève et m'emporte vers ma chambre. Il monte les étages puis lentement il me dépose sur mon lit avant de partir.

La douleur ne me quitte pas et je décide quand même de regarder la plante de mes pieds. Deux marques de brulure les barrent. Je roule vers le sol pour atteindre la salle de bain. Évidemment, je ne peux pas me mettre debout et je rampe. Par chance, je peux pousser la porte et je me redresse au bord de la baignoire. J'arrive à ouvrir le robinet et me glisse, tout habillée dans l'eau froide. En l'état des choses, si je pouvais me noyer ce serait une embellie... mais je n'en ai pas le courage. Je ne suis pas assez hardie pour le faire. Aussi je fais couler l'eau sur mes pieds et me rafraichit le visage tout en continuant à pleurer pendant des heures.

Je suis restée dans la baignoire toute la nuit sans pouvoir m'endormir, ma peau me fait trop souffrir. Perdue dans mes pensées, les yeux bouffis, je n'entends pas que la porte de la chambre s'ouvre. De toute manière, plus rien n'a d'importance, je peux bien finir en prison, en hachis pour chien, je n'en ai plus rien à faire à l'heure actuelle !

Une femme s'approche de moi, elle semble compatissante quand elle me parle en anglais. Je ne fais aucun effort pour la comprendre, traumatisée, j'ai du mal à revenir à une sorte de réalité. Elle m'aide à sortir de la baignoire, mais je ne peux pas me mettre debout. Aussi elle m'assoit le long du mur et ouvre une trousse de soins. Luc a dû avoir finalement pitié de moi et m'a envoyé une infirmière. Elle contemple mes pieds, mais ne se formalise pas. Elle décide de faire ce qu'elle peut : un désinfectant, de la crème, des pansements, un cachet et elle finit par me montrer ce qu'il va falloir que je fasse pour que je guérisse rapidement. Je prends les médicaments et elle m'aide encore une fois à me mettre debout. Les bandages me soulagent et j'arrive tout en boitant à rejoindre mon lit. Elle me dit au revoir et m'abandonne à mon sort.

Quelques minutes plus tard, un homme de Luc apporte mon plateau-repas, il n'ose plus me regarder dans les yeux, je pense qu'il doit culpabiliser d'avoir été le témoin de ce qu'il m'a fait subir sans réagir pour autant. Je ne dis rien, je suis stoïque et attends qu'il parte pour manger. Mais je n'ai pas très faim, je sais qu'aujourd'hui ma vie va changer. Je n'existe plus, je n'ai plus d'identité... Que va-t-il faire de moi ? Une monnaie d'échange ? Racheter une dette ?

Je suis totalement engloutie par la peur, mais je suis étonnamment calme. Je lève mes yeux vers le ciel, comme s'il pouvait y avoir un miracle et je murmure :

- Eden, je t'en supplie, retrouve moi...

Je me sens de plus en plus détendue, je pense que l'infirmière m'a donné un antidouleur costaud, car j'ai terriblement envie de dormir maintenant. Je ferme doucement les paupières...

MB MORGANE - Trois jours et deux nuits [terminé] #Wattys2020Où les histoires vivent. Découvrez maintenant