Je prépare une bière pour un client bavard qui me raconte sa vie amoureuse désastreuse quand j'entends ma collègue, Lydia, m'appeler. Je relève la tête, tout en tendant le verre ambré au client avec un sourire poli. Puis je jette un regard inquisiteur à la jeune blonde qui m'a interpellé.
- Je voulais juste te dire que je prends ma pause clope, dit-elle en agitant son paquet.
Je lui fais un signe de tête pour lui dire que j'ai entendu, tout en passant au client suivant. Son absence, même si elle ne sera pas longue, me crispe. Il y a beaucoup de monde ce soir, et me voilà seul face à tous ces clients assoiffés, parfois bourrés ou énervés.
En passant près de moi, Lydia me souffle, avec une petite tape d'encouragement, un « ça va aller, Alec, je reviens dans cinq minutes ». Je ne réponds rien.
Une fois que Lydia est sortie par la porte de derrière, je lève la tête, dans l'intention de me faire une vue d'ensemble de la situation au comptoir, mais je suis interrompu par un homme. Non pas qu'il m'ait commandé quelque chose ou adressé la parole. Sa présence seule nous fige, moi et mes pensées, sur place.
Il est grand, peut-être même plus que moi, mince, et sa chemise, d'une couleur que je n'arrive pas à définir dans l'obscurité, scintille, comme recouverte de millions de minuscules diamants. Elle moule en partie ses abdos, sur lesquels je m'attarde malgré moi quelques secondes.
Mais ce qui me frappe véritablement physiquement, comme un poing dans l'estomac, c'est la beauté de son visage. Il est typé asiatique, et son teint est bronzé, je peux le déceler même à travers les ombres du bar. Ses cheveux sont savamment coiffés en épis, et semblent eux aussi scintiller, tout comme sa chemise et ses yeux, maquillés à la perfection pour mettre en valeur leur couleur étonnante, pour un asiatique : ils sont clairs. D'où je suis, je crois discerner des iris verts, ou gris.
Son nez se plisse alors qu'il sourit, ses dents éclatantes semblant illuminer à la fois le bar, la ville, ma soirée et ma vie.
Je pense distraitement, tout à mon reluquage, qu'on devrait le surnommer « Le Brillantissime » à cause de toutes ces paillettes et de son sourire ensoleillé, lorsque je me fais sortir de ma rêverie par un client bourru qui me hurle dessus, me demandant si je suis payé à ne rien faire. Je reprends mes esprits et le sers humblement, ne relevant pas l'insulte qu'il a utilisée pour m'interpeller. Je ne suis plus à ça près.Heureusement, Le Brillantissime ne m'a pas surpris à l'admirer béatement. Il est trop occupé à répondre aux nombreuses femmes qui l'entourent et le draguent à tour de rôle. À son langage corporel, que je surveille du coin de l'œil, je comprends qu'il répond favorablement à leurs avances. Je soupire. Pourquoi faut-il toujours que les beaux gosses soient hétéros ?
Je commençais déjà à me faire des films ; je l'aurais dragué en le servant, ou en lui écrivant mon numéro sur le parapluie en papier servi avec les cocktails. Mais même s'il avait été gay, il ne m'aurait jamais remarqué, moi le barman mal dans sa peau, réservé et aussi banal qu'il est possible de l'être.
Je me tourne vers lui pour prendre sa commande, un masque impassible sur le visage, quand je le vois embrasser à pleine bouche une des femmes qui l'entouraient, une blonde plantureuse. Ils ont l'air d'en avoir pour un moment.
Les autres filles de leur groupe sont parties danser sur la chanson de Bruno Mars qui vient de commencer.Je décide alors, de façon très mesquine je l'avoue, de me venger de cette déception qui m'a assailli en comprenant son orientation sexuelle et en le voyant embrasser passionnément cette femme, par le seul moyen à ma disposition : je vais refuser de lui servir un verre. Ou plutôt, je vais royalement l'ignorer. Il ne doit pas être habitué à être ignoré, avec ce charisme. Ça lui apprendra à me faire fantasmer puis déchanter.
Je me détourne donc, et m'occupe des autres clients, toujours aussi nombreux mais de plus en plus éméchés.
Je ne me tourne à aucun moment vers le coin du bar où il se trouve, ne lui accorde aucun regard, ne lève pas la tête de mes commandes. J'encaisse l'argent des buveurs sans presque leur adresser un regard. Je suis sûrement désagréable, mais à cet instant, je m'en fiche.
Mes idées noires sont revenues en force à cause de ce putain d'inconnu brillant et séduisant, les mauvais souvenirs avec elles. Je préfère me taire plutôt que m'énerver sur des clients innocents, venus ici pour passer une bonne soirée entre amis.
Enfin, Lydia revient, après bien plus que cinq minutes d'absence. Je lui fais les gros yeux, et elle me rend ma mimique, pointant discrètement le groupe du Brillantissime, qui essaie d'attirer mon attention depuis quelques minutes déjà. Je hausse les épaules et leur tourne le dos, à eux et à Lydia. Elle prend donc leurs commandes, mais je m'enfuis à l'autre bout du comptoir lorsqu'elle vient vers moi pour remplir leurs verres, tel le lâche que je suis.
Lorsque, plus tard dans la soirée, je passe près d'elle cependant, elle m'attrape le bras, un exploit puisqu'elle tient les consommations des clients en même temps.
- Tu vas devoir m'expliquer ça plus tard, tu le sais, n'est-ce pas ? me demande-t-elle, un sourire à la fois complice et curieux aux lèvres.
Je ne peux m'empêcher de le lui rendre en secouant la tête, et réponds joyeusement :
- Peut-être, mais pas aujourd'hui ! J'ai fini mon service pour ce soir, à demain !
Ma phrase à peine finie, je lui plaque un bisou rapide sur la joue, tourne les talons et m'enfuis, un grand sourire sur le visage. J'ai réussi à l'éviter jusqu'à 2h30, ce qui était mon but. Je peux désormais rentrer chez moi.
En attrapant ma veste noire en cuir, posée négligemment, comme toujours, sous le comptoir, j'entends mon amie hurler dans mon dos, attirant sur nous le regard des clients accoudés au bar.
- Tu vas payer pour m'avoir frustrée comme ça, Alexander !
Elle n'utilise mon nom complet que lorsqu'elle veut se venger de quelque chose -elle sait que je ne l'aime pas. Je souris donc, toute pensée noire envolée pour le moment. Mon petit plan a marché et je suis très fier de moi.
Je n'accorde même pas un regard au bel asiatique en passant près de lui.
Je rentre chez moi, seul dans la nuit jaunâtre de New York, la ville qui ne dort jamais.
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Make something right (Fanfiction Malec)
FanfictionAlec Lightwood est un barman comme les autres. Un soir comme les autres, il rencontre un homme pas comme les autres. Mais c'est uniquement un inconnu dans la foule, il va bien finir par oublier ce magnifique asiatique... Non ? Les personnages ne m'...