6. Nuit

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Quatre jours plus tard, le jeudi soir, ma nuit de quinze heures de dimanche me semble déjà bien loin. J'ai enchaîné sans cesse les petits boulots, et j'ai remplacé Clary pour faire la fermeture hier soir, parce qu'elle a une vilaine grippe. En temps normal, je lui aurais souhaité de rester malade comme un chien le plus longtemps possible pour m'éviter son bavardage incessant, mais je n'en peux vraiment plus. Je lui ai même envoyé un SMS pour lui souhaiter un prompt rétablissement. Elle m'a répondu d'un unique smiley vert et vomissant. Yerk.

Ce soir sera donc la troisième fois consécutive que je me couche à 6h du matin pour me lever à 7h. Je profite de chaque pause pour grappiller quelques minutes de sommeil, mais c'est loin d'être suffisant. J'ai besoin d'une nuit d'au moins cinq heures de sommeil, bientôt. Je deviens de moins en moins efficace à tout ce que je fais, à tout ce que je dis, à tout ce que je pense.

On pourrait croire qu'après toutes ces années à manquer de sommeil, mon corps réclamerait moins de repos et se serait habitué, mais non. C'est même de pire en pire, depuis quelques mois. Et le fait de devoir sourire à chaque minute de chaque journée n'arrange pas les choses. C'est comme si chaque sourire forcé me pompait autant d'énergie que chacune de mes courses matinales avec Nestor.
Et ne parlons pas des trajets en métro. Ils m'épuisent, dès le matin et très, très tard le soir.

C'est pour cela que j'ai décidé de ne pas rentrer chez moi cette nuit.

Le Hunter's Moon n'est pas loin de Central Park, et donc de chez Liz. J'irai dormir là-bas dès la fermeture du bar. J'ai regardé la météo, et il fera doux cette nuit. J'ai pris un petit sac à dos, avec des affaires de rechange. Et te voilà prêt pour une nuit à la belle étoile, comme au bon vieux temps, pensai-je sarcastiquement.

L'avantage, c'est que je ne risque pas d'arriver en retard chez Liz, en dormant à quelques pâtés de maisons seulement.

Si j'avais plus de courage, moins d'ego mal placé et que je plaçais plus de confiance en notre relation, j'aurais demandé à Liz si elle pouvait m'héberger. J'y ai pensé, puis renoncé. Elle est mon employeuse après tout, je ne me sens pas légitime d'abuser de la gentillesse dont elle fait preuve envers moi.

***

Je me suis endormi dans un coin un peu isolé du célèbre parc new-yorkais, à l'abri d'un arbre. J'ai eu le temps d'observer les quelques étoiles visibles malgré les nombreuses lumières de Manhattan avant de m'endormir. Ce spectacle m'a apaisé, et j'ai sombré dans les bras de Morphée le sourire aux lèvres.

***

Je suis réveillé par le bruit de sanglots étouffés. Aussitôt en alerte, j'ouvre les yeux mais ne bouge pas le reste de mon corps, tentant de comprendre ce qu'il se passe.

En face de moi, je distingue cinq ou six ombres se battre... Non, pas se battre !

Sans réfléchir une seconde de plus, je me lève d'un bond et fonce sur l'une des ombres, lui envoyant un direct dans la mâchoire. Dans le noir, je rate mon but, et brise son nez. Il hurle et je souris. Il va souffrir un moment, le temps pour moi de m'occuper de ces enfoirés qui battaient un pauvre gamin à un endroit où personne ne pourrait l'entendre ou lui venir en aide.

Sauf que, dommage pour eux, je suis là, et je sais me battre.

Ils sont complètement désorientés par ma venue, et ne comprennent pas ce qui est arrivé à leur ami. Je profite de ces quelques secondes pour en frapper deux autres. Je suis en infériorité numérique, mais si je suis assez rapide...

Je recule pour ne pas me retrouver au milieu de leur groupe lorsqu'ils riposteront.
Et je trébuche sur le gamin. Je pensais qu'il se serait enfui, mais non. Il est resté là à pleurnicher. Et il m'a fait perdre l'équilibre. Mauvais. Très mauvais.

Le temps que je me reprenne, trois des brutes inconnues sont sur moi. Deux me maintiennent agenouillé pendant que le dernier me donne un coup dans l'estomac, puis me demande, en me postillonnant au visage, pourquoi je « cherche la merde » -ses mots, pas les miens.

Aveuglé par la rage et par mon arrogance, je lui crache au visage le fond de ma pensée.

- Vous n'êtes que des lâches, bande de connards. Vous en prendre à six contre un gamin qui n'a même pas fini sa puberté... Vous me dégoûtez. Et maintenant t'oses même pas te battre à la loyale, en un contre un. Tu laisses tes potes m'immobiliser parce que t'as peur. Parce que tu sais que je défoncerais ta sale gueule jusqu'à ce que t'appelles à l'aide ta mère, espèce de...

Il me fait taire d'un coup dans la mâchoire. Ouais, j'aurais peut-être dû fermer ma grande gueule, plutôt que de cracher le venin que je retiens en moi depuis plusieurs années.
J'ai quelques fois été dans la situation de ce gamin, et je sais que quoi qu'il ait fait, personne ne mérite de se faire tabasser ainsi. Et généralement, ce sont les coupables qui donnent les coups, et les innocents qui les encaissent.

C'est pour ça que je ne pouvais pas rester sans rien faire, à feindre le sommeil. Je devais faire quelque chose de bien, une fois dans ma vie. Et même si je sais que je vais souffrir pour être intervenu et pour avoir ouvert ma grande gueule, je n'ai qu'un regret : celui de n'avoir pas pu leur donner quelques coups de plus avant d'être immobilisé.

Un coup dans l'estomac me sort brutalement de mes pensées.

La suite est assez floue dans mon esprit. Je me souviens de la douleur. Dans mon ventre. Mes jambes. Mon dos. Mes mains. Ma tête. Ma poitrine.

Je me souviens du soulagement, lorsqu'ils se sont arrêtés quelques secondes, en hurlant que quelqu'un s'était enfui. J'ai souri, je ne sais plus trop pourquoi. J'avais l'impression d'avoir fait quelque chose de bien.

Mais ça ne devait finalement pas être une bonne action, parce que la douleur est revenue. Sûrement en punition.

Je me souviens avoir rouvert les yeux, une fois. Le soleil se levait sur Manhattan, il illuminait les gratte-ciels et les feuilles des arbres. J'ai de nouveau souri, un peu plus difficilement. Si j'avais su dessiner, j'aurais inscrit à jamais sur une toile ce spectacle époustouflant, féerique, doux et frais comme un verre de limonade bien glacé en plein cœur de l'été.

Puis je ne me souviens plus de rien.

Rien du tout.

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Bonjour/Bonsoir,

J'espère que ce chapitre vous a plu :-)
Je voulais vous remercier pour les votes et les commentaires, ça fait tellement plaisir !

Bonne journée/soirée/nuit/vie en général ;-)

Make something right (Fanfiction Malec) Où les histoires vivent. Découvrez maintenant