26. Pour que tu comprennes

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Quand je rouvre les yeux, je suis allongé sur le canapé du bureau, un plaid sur le corps. Je fais face à Magnus, qui écrit quelque chose d'un air concentré, assis à son bureau.

Je le regarde en silence, voulant juste rester ainsi, immobile, amorphe et hébété, pour l'éternité.
Mais il doit sentir le poids de mon regard sur lui, parce qu'il lève la tête et pose ses yeux étonnants sur moi.

- Ça va mieux ? me demande-t-il d'une voix douce.

Je hausse les épaules et me frotte les yeux en me redressant en position assise.

- J'ai dormi longtemps ?

- Moins d'une heure.

Il se rapproche de sa démarche féline et finit par s'asseoir à mes côtés, sans me lâcher du regard.

- Tu veux me raconter ?

Aucune pression dans sa voix, juste de l'inquiétude, et une infinie douceur. Je réfléchis un instant.

- Seulement si tu m'expliques d'abord pour Camille, je finis par dire d'une voix hésitante, pas sûr qu'il ne se fâchera pas d'un moment à l'autre, toujours sur mes gardes.

- D'accord.

Il me serre doucement la main, et j'entremêle mes doigts aux siens. Il prend une profonde inspiration, et je ne le presse pas. J'ai peur de ce qu'il va me dire, mais je ne veux pas le forcer ou l'interrompre.
Il finit pas parler, longtemps. Et je n'étais pas du tout préparé à cette soudaine confession si intime.

- Pour que tu comprennes la relation que j'ai avec Camille, il faut que je remonte assez loin dans ma vie. Je suis né en Indonésie, et à dix ans, je suis devenu orphelin. L'orphelinat dans ce pays est très dur. Les encadrants... eh bien, ils n'encadraient pas grand chose, et nous faisaient plus de mal qu'autre chose. Là-bas, c'était « vole ou crève ». Alors on volait, et on se battait entre nous pour le moindre quignon de pain. Jusqu'à ce que Camille arrive. Elle était belle, douce et innocente. Elle a eu du mal à s'adapter à la vie de l'orphelinat. On avait à peu près le même âge, et je voyais que tout le monde se moquait d'elle et de sa naïveté. Alors je l'ai prise sous mon aile. Je l'ai défendue face aux autres, je lui ai appris à survivre dans ce monde. En échange, elle m'a emmené à l'école avec elle. Je n'y étais pas retourné depuis la mort de mes parents, comme la plupart des autres gamins de l'orphelinat. Mais les parents de Camille, avant leur mort, avaient fait un testament, qui incluait l'obligation pour quiconque s'occupait d'elle de lui fournir une éducation correcte. Ça nous a sauvés. On a étudié, beaucoup, et à nos dix-huit ans, quand Camille a touché son petit héritage, on s'est envolés pour les États-Unis. On ne s'est jamais lâchés. On a bossé comme des dingues, elle, moi, Ragnor et Catarina. Et on a réussi à s'en sortir, comme tu peux le voir, fait-il avec un petit rire. Camille sera toujours comme une petite sœur pour moi, et on aura toujours un lien unique, elle et moi. Je ne t'ai jamais parlé d'elle avant parce que je ne savais pas qu'elle revenait à New York après deux ans passés à Los Angeles dans une des filiales de Bane Enterprises. Et aussi, ajoute-t-il après une petite pause, les sourcils froncés, parce que ça t'aurait amené à m'interroger sur mon passé en Indonésie, et qu'il y a des choses enterrées dans mon histoire que je ne veux pas que tu déterres. Pas encore. Je ne veux pas te voir fuir loin de la monstruosité que je suis, murmure-t-il pour lui-même, les yeux baissés, en embrassant mes phalanges, mais je l'entends.

Cette dernière phrase me fait réagir.

- Tu n'es pas une monstruosité, Magnus. Tu es la personne la plus belle que j'aie jamais rencontrée. À l'intérieur et à l'extérieur. Il n'y a strictement rien de laid en toi.

Je l'enlace maladroitement, et il me serre plus fort contre lui.

- J'espère seulement qu'un jour tu me feras assez confiance pour me parler de tes démons, je chuchote.

- J'espère aussi, il murmure en retour en s'éloignant, m'embrassant le front au passage.

Nous restons un moment en silence ainsi, assis l'un à côté de l'autre. Mais je sais que je vais devoir, à mon tour, lui parler de ce que j'ai vécu. Je réfléchis donc aux informations que je vais lui partager, et quand c'est fait, je prends une grande inspiration, l'imitant involontairement.
Je vais lui raconter une version un peu différente de celle que j'ai donnée à Lydia, mais je garde toujours l'explication la plus importante, la plus horrifiante, la plus monstrueuse, pour moi-même. C'est mon fardeau, mon erreur impardonnable. La cause de tous mes malheurs, que je mérite bien.

- J'ai compris assez tôt que j'étais gay. À treize ans, mon frère adoptif regardait les filles, et moi je le regardais lui. J'avais l'impression que c'était l'amour de ma vie, et lui n'avait même pas compris que j'aimais les hommes. Et puis, à quinze ans, j'ai rencontré Andrew.

Je vois la mâchoire de Magnus se tendre, mais il ne dit rien, et je continue, en lui serrant plus fort la main.

- Ce que j'ai ressenti en le voyant pour la première fois... Ça m'a fait comprendre que ce que je ressentais pour mon frère était juste une illusion, un simple amour fraternel. J'étais amoureux, et, je ne sais pas pourquoi, mais Andrew s'est rapidement intéressé à moi. Au...

- Peut-être parce que tu es magnifique, marmonne Magnus.
Je glousse mais reprends mon récit.

- Après quelques mois à se tourner autour, on a commencé à sortir ensemble. En secret, parce qu'aucun de nous deux n'avait fait son coming-out, et qu'on ne se sentait toujours pas prêts. Ça ne m'a pas empêché de faire ma première fois avec lui.

Je respire un bon coup. La suite est plus difficile.

- Un peu après mes dix-sept ans... Il venait de sortir du placard, j'envisageais de le faire à mon tour, pour lui. On était chez moi... seuls. On s'embrassait, mais mes parents sont rentrés plus tôt que prévu. Ils nous ont surpris.

Je crois que j'écrase les phalanges de Magnus, mais je ne peux pas desserrer les doigts.

- Mon père... était vraiment furieux. Il m'a traité de tous les noms, a cassé des choses dans la maison. Andrew s'est enfui, je lui ai dit que je pouvais gérer et que je voulais éviter qu'il soit blessé. Je pensais que mon père allait finir par se calmer, mais il m'a entendu parler à Andrew et ça n'a fait qu'empirer. Puis il m'a fait sortir et m'a dit de ne plus jamais revenir et que je n'avais aucun droit de reparler aux membres de notre famille. C'est ma mère qui m'a arraché mon téléphone des mains et qui a claqué la porte.

Je sens les pouces de Magnus sur mes joues, et je comprends que je suis en train de pleurer. Je détourne les yeux et renifle.

- J'étais en T-shirt dehors sous la pluie et j'étais seul. Je n'avais aucun véritable ami en dehors de ma famille et d'Andrew. Alors je suis allé chez lui.
Comme un pansement Alec, fais ça vite, tu auras moins mal.
- C'est lui qui m'a ouvert. Il m'a laissé dehors, derrière le portail. Il m'a dit que notre couple n'avait été qu'un jeu pour lui, que j'avais été un jouet. Qu'il voulait juste sortir avec un Lightwood. Qu'il me trompait depuis des mois, et qu'il était heureux que mon père m'ait foutu dehors, parce que je m'accrochais trop et qu'il ne savait pas comment me larguer. Il... il m'a...

Les yeux de Magnus sont fixés dans les miens. Il est si beau, si bon, si généreux. Je ne peux pas lui dire.

- Il m'a brisé le cœur, je finis piteusement. Et il n'a même pas voulu m'héberger cette nuit-là.

- Oh, Alexander, viens là.

Je me réfugie dans ses bras forts, protecteurs. Je m'y sens si bien. Je laisse de nouvelles larmes couler, mais celles-ci font moins mal. Avec elles, part une partie de la douleur et des mauvais souvenirs, parce que ces larmes-là atterrissent sur la chemise de Magnus, qui me console et me berce.

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Bonjour/Bonsoir !

Voici un chapitre un peu plus long, avec des confessions des deux côtés, j'espère que vous avez aimé ^^

Bonne journée/soirée/nuit et à la prochaine :-)

Make something right (Fanfiction Malec) Où les histoires vivent. Découvrez maintenant