Le château - 1° partie

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Les cloches carillonnaient en signe de bienvenue. Alors que les premiers châtelains et citadins accouraient de toutes parts, chaque fibre de mon être ressentait l'allégresse qui inondait la capitale, telle une seconde victoire. Notre royaume avait été préservé. L'ennemi, vaincu. Les sourires, omniprésents autour de nous, finissaient d'effacer nos masques de fatigue ou de douleur. La joie des uns déferlait sur les autres. Notre fierté deviendrait la leur lorsque, dans les chaumières, chaque instant raconterait nos exploits.

Depuis notre arrivée, observer Tamara et Olga m'amusait. Les regards rivés sur les fortifications qui dominaient de toute leur puissance la capitale du royaume, elles se projetaient sans doute dans des rêves improbables.

— Quel château ! s'exclamèrent-elles.

— Oui. Il a été conçu pour abriter une bonne partie de la population en cas de siège. Plutôt que de construire une muraille autour d'une capitale qui s'agrandissait, nos aïeux ont jugé préférable de rendre un périmètre restreint inexpugnable.

Mes deux soignantes m'accompagnaient. Elles profitaient de leur mobilité pour contempler la ville, les murailles et les badauds qui se ruaient vers nous.

— Au début, la cité s'étendait à l'arrière des fortifications, continuai-je, car la menace a toujours été plus clairement identifiée au sud qu'au nord. Mais petit à petit, les habitations et les commerces se sont élevés sur les côtés, puis sur le devant. Nos aïeux ont toutefois cherché à préserver un large boulevard entre les bâtisses. Il s'agit de la voie royale sur laquelle nous allons nous engager.

Hector passa devant nous. J'en profitai pour inspecter son armure. Tamara remarqua combien elle m'impressionnait.

— Il n'y en a que quatre comme celle-là.

— Pourquoi pas plus ?

— Elles ont été fabriquées dans un matériau très rare.

— Si vous l'avez découvert en terre galienne, pourquoi nos ennemis ne l'utilisent-ils pas ?

— Il ne s'agissait pas d'un gisement, mais d'une pièce ouvragée. Nous avons eu de la chance semble-t-il. Malgré les fouilles, nous n'en avons pas trouvé d'autres.

— Une pièce ouvragée ?

— Oui, une grande pièce de la taille d'un homme et de belle épaisseur. » Devant mon air surpris, Tamara ajouta : « Elle était lisse.

— Une pièce de métal lisse ? Sur toute sa surface ?

— Oui.

Je n'eus pas le temps de m'enquérir plus en détail de ce mystère que nous atteignîmes les faubourgs de la ville. Tout autour de la grande artère qui menait au pont-levis, les citadins agglutinés nous acclamaient. D'autres, concentrés, cherchaient un proche. Lorsque j'arrivai à la hauteur des badauds, nombre d'entre eux me réclamèrent pour me féliciter. Une dame accourut vers moi puis se figea. Sa paume se plaqua contre sa bouche lorsqu'elle découvrit mon état. Le regard inquiet, plusieurs tentèrent de toucher ma main pour me consoler. J'essayai de me redresser légèrement avec l'aide de Tamara et d'Olga. Ceux qui assistèrent à l'effort en furent d'autant plus consternés.

L'armée fut brillamment mise à l'honneur. Bien droit sur son cheval, le général affichait fière allure. Les soldats, la tête haute, sollicités de toutes parts, semblaient ignorer l'agitation. Limitée dans mes déplacements, je me contentai de faire signe de la main. J'éprouvais du plaisir à assister à cette scène, même s'il s'agissait d'un plaisir modéré, car sourires et rires se figeaient à mon approche. Pour tous, les blessures importantes étaient synonymes d'ablation. Une princesse handicapée perdait ses chances d'intéresser un courtisan renommé. La gloire du royaume s'en trouverait diminuée. Son avenir, bridé pour de longues années. Je me réfugiai dans la confiance communiquée par Krys avec l'espoir de retrouver l'ensemble de mes facultés.

Le Miroir du TempsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant