Le plan - 6° partie

22 3 8
                                    

Loin d'imaginer une telle aubaine, José ne perdait aucune bribe de l'échange en cours. Mais la princesse y allait fort et elle risquait de se mettre les plus violentes à dos. Il garda le silence, espérant que sa protectrice demeure convaincante.

— Et tu es une victime. Mais réfléchis, comment en sommes-nous arrivés-là ?

Dépassée, Lucette évita de répondre. Julia se demanda si on cherchait à noyer le poisson. Concentrée, Allie, fidèle servante, butait sur le vide. José se retint de pouffer de rire. En une question, la princesse avait retourné la situation à son avantage. Pour autant, il se demandait bien ce qu'elle avait en tête.

— D'où viennent les guerres ?

En aiguillant le débat vers la plus folle des activités humaines, la réponse en deviendrait plus évidente.

— Les princes de ce monde convoitent des territoires, assura Cassy.

— Et entraînent le monde derrière eux, c'est juste. Maintenant, que pensez-vous des gens ? En général ? Se comportent-ils de la meilleure manière qui soit ?

Allie aurait voulu répondre par la négative mais cela lui parut par trop évident.

Plusieurs de ses patients, comme elle les appelait, revinrent à la mémoire de Lucette. De certains d'entre eux, elle aurait aimé se débarrasser. Parmi les "gentils" et les galants, elle se rappela de deux commerçants. Comme devant un confesseur, ils lui avouaient tout. Ils s'arrangeaient avec les poids, les mesures, les prix, maquillaient les vices de fabrication. Et ce médecin ! Ses clients avaient besoin de croire, assurait-il, peu importe ce qu'il leur prescrivait ! Ils se fiaient en lui comme à Dieu et réglaient la note. Elle pouffa intérieurement.

— Il faut bien vivre, ironisa-t-elle.

— Tu veux dire ?

Vigilante, Sara cherchait à se rapprocher de son fil directeur.

— Ceux qui lèvent l'impôt nous volent. Les gens se débrouillent comme ils peuvent pour récupérer leur bien. Ils trichent.

La princesse souffla. Les idées émises depuis le début se rencontraient enfin.

— Mais, ce faisant, abusent-ils les puissants ou se récupèrent-ils sur plus faibles qu'eux ?

La jeune prostituée ouvrit la bouche, persuadée de connaître la réponse ; aucun mot n'en sortit.

— C'est difficile de reprendre aux riches, finit-elle par dire.

Exactement. On se targue de récupérer son dû auprès des riches alors qu'en réalité, on s'en prend en général à plus petit que soi.

Elle avait prononcé lentement sa tirade, laissa ses paroles faire leur chemin dans les esprits puis enfonça le clou.

— N'est-ce pas ce que les rois font ? N'est-ce pas ce que les bandits comme José font ? Tous s'en prennent à plus petit que soi. Même les gens du peuple.

— Mais ça n'a rien à voir ! protesta Julia.

La princesse attendait cette réaction.

— Ce qu'il faut comprendre, c'est qu'il s'agit d'une question d'échelle. Les rois ont beaucoup de pouvoir, ils prennent beaucoup. Les nobles en ont moins, ils prennent moins. Les roturiers, encore moins. Les pauvres sont-ils innocents parce qu'ils prennent moins ? Non, tous agissent selon leurs moyens. Et tous accusent ceux qui se trouvent au-dessus d'eux, en agissant pourtant de la même façon.

Allie, médusée, avait le sentiment de comprendre pour la première fois la raison du mugissement des vagues. Classée au bas de l'échelle, elle se plaignait de sa condition et abominait l'injustice des puissants. Comment aurait-elle agi en tant que fille de la noblesse ? Aurait-elle été meilleure que celles qu'elle jugeait ?

Le Miroir du TempsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant