L'attente ne fut pas longue avant que le premier prince ne demande à me rencontrer. Pour m'y préparer, ma tante s'autoproclama préposée à la toilette et aux tenues de ma personne. Avec la bénédiction de mon père. Par précaution, j'exigeais la présence de Tamara, afin d'éviter que ma jambe ne soit malmenée.
Le premier à répondre à l'appel s'appelait Jerry, un prénom à consonnance assez typique du nord de l'île.
Habiller une handicapée ne relève pas du domaine de l'impossible si bien que Tante Hélène réussit à me faire passer dans la robe de son choix. Ses préférences, en la matière, restaient ciblés. Connaissant la réponse, j'objectai tout de même :
— Peut-on en choisir une dont le décolleté soit moins profond ?
— Il faut te mettre à ton avantage, ma chérie.
— Justement, j'aimerais que ces messieurs ne jugent pas que sur ce point.
C'était vrai. Je recherchais quelqu'un d'intelligent, capable de discerner en moi la même aptitude. J'appréciais qu'on me déclare belle ; d'ailleurs, on ne cessait de le répéter. Ceux qui ne m'inondaient pas de flatteries étaient généralement de jeunes hommes intimidés se demandant comment m'aborder. Cette crainte naturelle représentait un avantage, elle m'évitait de me retrouver submergée d'égards de toutes sortes. Je ne les méprisais pas, j'avais seulement besoin de respirer.
Néanmoins, je préférais qu'on me juge intelligente. J'estimais que seul un homme brillant pourrait un jour le reconnaître. Alors, arborer mes avantages – certains appelaient cela des "appâts" – revenait à révéler une seule facette de ma personne. L'emploi du terme était révélateur : le regard attiré, des œillères restreignaient l'entendement de certains, or je désirais tout le contraire.
Mais ma tante ne dansait pas sur ces notes-là...
— Quand on a des atouts, on les utilise. Un homme fort montre ses muscles, un savant révèle sa science et une belle femme...
— Ses seins, je sais... (Tamara pouffa de rire).
Cela me rappela que Krys était sans doute le mieux placé pour en juger. À part sous une armure, une seule fois, je ne lui étais apparue qu'en sous-vêtements. Le pauvre ! La seule chose qu'il ait vue de moi... Avec lui, rien ne me gênait. Il avait agi naturellement, comme tout médecin l'aurait fait. Je ne pensais pas l'avoir laissé indifférent. Pour autant, jamais un compliment ne sortit de sa bouche. Sa condition ne lui permettait pas d'espérer et, sans doute, le savait-il. Ou peut-être attendait-il de mieux me connaître ? C'était un homme réfléchi, il ne se laissait guider ni par ses émotions, ni par ses désirs.
Tante Hélène me regarda en continuant d'ajuster ma robe. « La prochaine fois, tu pourras utiliser le terme poitrine, plus convenable. » Sa tâche terminée, elle fit demi-tour et inspecta l'appartement. « Pas question de recevoir ces gentilshommes dans ta chambre. La pièce attenante me semble appropriée. Oui c'est cela, tu seras bien ici. C'est grand, spacieux. Parfait, tout est parfait. »
C'était parfait...
Jerry
J'étais étendue sur le divan, le corps légèrement incliné pour faciliter l'échange. Un jeu d'échec trônait sur la petite table. Si la conversation manquait d'intérêt, il serait facile de la déplacer pour affronter le prétendant du jour. Le buffet regorgeait de boissons diverses, de petits fours et d'apéritifs. J'y avais fait ajouter des fruits frais et secs afin d'éviter de m'empâter.
Jerry n'était pas méchant. Un peu chétif. Timide. Il se demandait comment procéder et tournait autour de chaque meuble et objet de la pièce en faisant mine de s'y intéresser. Je décidai de prendre les choses en main.
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Le Miroir du Temps
FantasyQu'y avait-il avant ? L'univers des vivants se résume-il à cette île minuscule ? Existe-t-il quelque chose au-delà de cet immense océan ? Pourquoi l'injustice règne-t-elle en ce monde ? Toutes ces questions, la princesse se les pose depuis longtemps...