La tournée des prétendants - 2° partie

27 3 25
                                    

Robb

J'ai ainsi reçu plusieurs princes. Ce que j'avais pris pour une sinécure se révéla formateur. Aucun ne se ressemblait. L'un d'eux, Robb, un petit être grassouillet, préférait rester près de la fenêtre, dans mon dos, même pour me parler. Inclinée comme je l'étais, cela avait tendance à me gêner. Je demandai : « Vous placez-vous de telle sorte à mieux apprécier la vue de mes seins ? ». Surpris, il s'assit promptement face à moi et dit : « si vous vous habillez ainsi, c'est pour être vue. Qu'y a-t-il de mal à contempler ce qui est beau et qui s'affiche pour être apprécié de tous ? ».

Une femme a peut-être du mal à répondre à ce type de question lorsque les compliments se mêlent à d'autres considérations. En pleine conversation, je lançai : « vous savez, je ne désirais pas vraiment m'afficher ainsi. Mais il semble que cela fasse partie des usages en société. » Il a opiné du chef puis s'est excusé. J'ai apprécié. Nous avons beaucoup joué, aux échecs principalement. Il m'amusait et avait souvent le mot pour rire. Il mangeait beaucoup au point de vider plusieurs plateaux. Je n'ai pas désiré déjeuner seule avec lui, mais nous nous sommes quittés en très bons termes. Son souhait de me revoir m'a fait plaisir.

William

William était différent. Très sûr de lui, autoritaire peut-être, mais pas avec moi, il parvenait à enrichir nos échanges de légères teintes d'humour. Il jouait intelligemment aux échecs, sans s'éterniser entre les coups. D'attitude sportive, il semblait regorger de volonté. Beau, bien habillé, rasé de près, il masquait ses bonnes manières sous une gestuelle étudiée. Les mimiques de son visage alternaient sourire et flegme de telle sorte que j'eus l'impression de le connaître depuis toujours. Il ne semblait pas me courtiser et je m'en trouvais d'autant plus sous le charme.

Je ne désirais toutefois pas le ménager et lui soumis les mêmes questions qu'aux autres. À quoi servait d'être parfait en société et de disposer de tant de pouvoir si ce n'est pour user de bonté envers les faibles et chercher le meilleur pour son peuple ? Me concernant, je ne désirais en aucune manière partager mon existence avec un personnage amoureux de sa fortune. En dernier recours, j'accepterais un être faible, afin de disposer moi-même de capacités de décision.

Il garda son calme et, comme ses prédécesseurs, me dévisagea un moment. Puis, il tenta de répondre le plus précisément possible. N'y parvenant pas, il se leva et se dirigea vers la fenêtre. Pour éviter de l'embarrasser outre mesure, je changeai l'angle d'approche :

— Énormément de gens sont dans le besoin. Les veuves, les handicapés, les personnes âgées isolées. Les orphelins. Que pouvons-nous faire pour eux ?

J'avais posé la question doucement, afin d'éviter qu'elle ne tombe tel le couperet du jugement. Elle aussi fut suivie d'un court instant de réflexion. Revenu à lui, William s'assit, prit ma main dans la sienne, ce qu'il fut le seul à tenter, et déclara :

— Princesse, je l'avoue, ce sujet représente une découverte pour moi. Personne ne s'interroge en ces termes au sein de mon entourage. J'imagine qu'il en est de même pour vous, ce qui vous honore. Cela révèle, en vous, une belle autonomie de pensée. J'aimerais vous apporter la réponse que vous attendez. J'apprends plus de vous par les questions que vous me posez que par vos réponses aux miennes. Malgré vos cinq années de moins, je constate une grande maturité en vous et, bien que vous soyez alitée, une grande énergie émane de votre personne. Je promets de vous répondre. J'ai besoin de recul. Seriez-vous capable d'attendre un peu ?

Si un moment m'a touchée lors de ces entrevues, ce fut celui-là. Mis en difficulté, William ne se sentait pas humilié par les questions d'une femme, d'une femme plus jeune que lui. J'acceptai sa proposition.

Le Miroir du TempsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant