Au matin, ce n'est pas sans une certaine satisfaction que je pris connaissance de la distance qui me séparait encore de mon père. J'appréhendais son retour, et imaginais nos embarras respectifs. Quels seraient ses premiers mots ? Allait-il me reprocher ma désobéissance ? S'excuser de ne pas avoir tenu sa promesse ? Il nous avait abandonnés ! Il m'avait abandonnée ! J'étais terriblement gênée pour lui.
J'imaginais son effarement et sa honte. La nouvelle de la victoire lui était arrivée alors qu'il n'avait pas atteint sa destination. Comment allait-il gérer la situation ?
Comme promis, Tamara était passée tôt, mais pour m'interdire mon petit déjeuner. On m'avait lavée, bichonnée, aseptisée. J'étais prête pour les bons soins de Krys. J'oubliais le roi pour me laisser bercer dans cette attente.
Ma jambe guérirait sans dommage, j'en étais persuadée. Pour mon avenir... Je pris une forte inspiration. Pourquoi avais-je l'impression que Krys et ses amis pouvaient là aussi changer les choses ? Parce qu'ils représentaient mon seul espoir ? Ils étaient si différents. Pour le peu que je discernais, ils avançaient, ils ne reculaient pas. Ils étaient soudés là où nous étions si souvent divisés. Je les avais observés pendant le trajet : il se dégageait d'eux une force. Une forme de plénitude. Une totale assurance.
Ils respiraient la vie !
Krys en était-il seul responsable ? Ou s'agissait-il d'un principe acquis loin de nous, loin de tout ? Les deux, sans doute. J'espérais qu'ils restent avec nous. J'espérais que leurs conceptions se révèlent communicatives et contribuent à transformer durablement notre société. J'espérais que mon père serait si impressionné qu'il attribuerait à l'un d'eux les plus hautes responsabilités. Si ce que j'ai cru percevoir en Krys se vérifiait, notre monde en deviendrait plus égalitaire.
Allait-il continuer à s'occuper de moi afin de m'éviter une totale dépendance de nos médecins ?
Tout s'était passé si rapidement ! À l'angoisse des premiers jours de la guerre avait succédé l'élan de la victoire. Je regardais mon poing. Je l'avais fermé avec force afin d'appuyer mes dires. Maintenant, je l'attendais. Krys. Darkhan Krys ! C'était bien lui que j'attendais. Que pouvait espérer d'autre une princesse comme moi ? Beaucoup mieux qu'un ancien esclave, diraient certains.
Mais pas moi !
Ces pensées qui virevoltaient dans mon esprit me préservaient de l'ennui. Pour autant, il me faudrait m'armer de patience. Mon lit allait devenir ma vie. Ma chambre, mon paysage. Mes pensées, mon horizon. Et pour longtemps encore ! Je baissais les yeux sur mes sous-vêtements. Du linge que seuls les nobles se procuraient. Des toiles et dentelles de soie confectionnées par nos meilleurs artisans. Le deux-pièces, un moyen privilégié par ces dames pour séduire la gent masculine. Sans lui, à moins de me retrouver nue sous les draps, je serais fagotée de toiles quelconques découpées pour l'occasion.
Krys fut annoncé. Je relevai le drap jusqu'au cou.
Les salutations furent comme je les avais imaginées, rapides. Il s'enquit de la qualité de mon sommeil et des douleurs ressenties. Je le tranquillisais.
— Tout va bien, donc ? demanda-t-il une deuxième fois.
— Oui, vraiment. Juste un peu de nostalgie et... beaucoup de plaisir à retrouver mes amis.
J'avais passé la nuit seule pendant que tous fêtaient la victoire. Maintenant, il arrivait, tel un rayon de soleil illuminant la pièce.
— Tu as été magnifiquement représentée lors de la fête. Et très regrettée.
Je connaissais la troupe : une femme élancée aux traits fin avait sans doute interprété mon rôle. Par son intermédiaire, les spectateurs me virent en principe pour la première fois une épée à la main. J'aurais aimé assister à l'effarement de certains. Beaucoup avaient dû conclure à une exagération de troubadours.
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Le Miroir du Temps
FantasyQu'y avait-il avant ? L'univers des vivants se résume-il à cette île minuscule ? Existe-t-il quelque chose au-delà de cet immense océan ? Pourquoi l'injustice règne-t-elle en ce monde ? Toutes ces questions, la princesse se les pose depuis longtemps...