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On dit que toute grande histoire commence par un grand départ. Et forcément, une grande arrivée. Mais que doit on dire quand ce départ et contraint ? Quand du jour au lendemain, on se retrouve dans une nouvelle maison et que des souvenirs sont à effacer ? Honnêtement, je n'en sais rien. Et mon frère ne semble pas être plus enchanté que moi d'emménager ici.

- J'aime pas, déclare Noé en resserrant son sac contre lui.

- Moi non plus. Mais on n'a pas le choix.

J'aimerais pourtant dire que je vais m'éclater dans cette baraque au parquet grinçant et qui sent le renfermé. Étrangement, j'ai le pressentiment que ça démarre mal. Notre père, son faux sourire sur les lèvres, nous rejoint avec le dernier carton. Et c'est facile de deviner, rien qu'à son visage, qu'il est lui aussi très déçu. Il décharge nos affaires sur le meuble de cuisine et prend la peine d'ouvrir la fenêtre.

- Écoutez les garçons... Je sais que ce n'est pas le grand luxe ici, mais c'est tout ce qu'on peut se permettre, explique-t-il. Je suis sûr qu'avec un grand ménage, on se sentira mieux.

- Je veux rentrer à la maison.

- On a plus de maison.

Ils me fixent tous les deux. Mon père avec désapprobation et Noé avec effroi.

- Mais comme a dit papa, on se sentira bien et chez nous une fois nos affaires rangées, me rattrapé-je.

Noé acquiesce, récupère ses affaires et monte à l'étage en comptant les marches. Mon père prend appui contre le meuble en se frottant le visage. On entend une sirène au loin. La scène est digne d'un bon drame américain.

- J'ai conscience que tout ça, ça fait beaucoup pour vous. Mais j'ai pas eu le choix.

- Je vais dans le même lycée. J'ai rien perdu à part une chambre plus grande, ironisé-je. Je t'en veux pas d'avoir gagné, tu sais. C'était ça ou le Sud.

- Tristan...

- Je vais aller voir Noé.

Je préfère le laisser se morfondre encore un peu. L'étage ne vaut pas mieux que le reste. Une seule salle de bain et trois petites chambres. Noé est debout devant l'une d'elles, sans oser y pénétrer.

- Qu'est-ce que tu fais ?

- Je compte le nombre de lattes sur le sol, me répond-t-il avec sérieux.

- Et tu en conclus quoi ?

- Que ça peut aller.

Sans lâcher son sac, il s'assoit sur le lit à l'intérieur et rebondi dessus. Un fin sourire se dessine sur ses lèvres. Je serai presque heureux de le voir comme ça.

- Et le lit ?

- Bien. Mais les murs manquent de photo.

Et c'est peu de le dire. Il n'y a aucune décoration. Seulement des meubles en bois en plus du lit.

- Le gris est un peu fade, avisé-je.

- C'est pas gris mais lavande.

- Merci, monsieur le génie en peinture.

- Si c'est ta façon à toi de montrer que tu es en colère, ce n'est gentil pour personne. Et encore moins Papa.

- Je suis pas en colère.

- Tant mieux alors.

Il se lève et m'intime de quitter sa nouvelle chambre en refermant la porte derrière moi. Je ne prends pas la peine de retirer ma veste et m'affale sur mon lit. Ma chambre ressemble à un placard à balais, pourtant, je m'en contenterais. Pour Noé. Il a besoin d'espace pour respirer et penser. Bien plus que moi. Mon portable vibre dans ma poche et je me presse pour savoir qui sera le premier à me sortir de cet endroit. Arllem est mon sauveur.

''T'es dispo ?''

''Ça dépend pour quoi ;-) ''

Je n'ai pas le temps de lire sa réponse, que mon père toque à l'encadrement de ma porte.

- Je voulais savoir si tu voulais que je fasse un truc à manger ce soir. Sinon je peux commander.

Noé passe la tête dans ma chambre et frappe à son tour sur le bois.

- Pizza ou chinois ? lui demande-t-il avec un grand sérieux.

- Tout dépendra de ce que veut Tristan.

Noé m'observe de son regard intransigeant. Je sais déjà ce qu'il veut.

- Prends un assortiment de sushi.

Mon petit frère sourit, fait demi-tour et compte le nombre de lignes sur le sol jusqu'à sa chambre. Mon père attend d'être certain que Noé ne reviendra pas et me rejoint sur mon lit. Ses mains se joignent et il se pince le nez.

- Écoute... Je sais que ça fait beaucoup à encaisser pour vous deux. Alors je ne voulais pas vous couper de tous vos repères. Surtout Noé. Noé a besoin de stabilité et toute cette histoire l'a vraiment chamboulé. Bien plus que ce qu'il ne veut nous montrer.

- Il est fort pour son âge, complété-je. Bien plus que certains. Et je t'en veux pas... Enfin pas trop.

Il sourit un peu et tapote mon genou. Pendant une courte seconde, j'ai l'impression de voir ses yeux devenir plus brillants. Il se remet subitement sur ses pieds et m'annonce qu'il va commander à manger.

Je discute un moment par message avec mon meilleur ami jusqu'à ce que mon frère vienne me voir pour dîner.

Le repas se passe étonnamment bien. On discute sans cris, on rit, Noé trie par couleurs et formes les aliments et mon père n'évoque pas une seule fois son boulot. Mais ça ne peut jamais être parfait à chaque moment. Son téléphone sonne et à son regard, on sait que notre soirée avec lui est terminée. Il s'excuse, enfile ses chaussures et sa veste puis nous abandonne. Son dernier sushi trempant encore dans la sauce sucrée. Noé ne mange plus et triture ses doigts sur la nappe.

- Je la déteste, lâché-je sans faire attention à mes pensées.

- Tu ne peux pas la détester.

- Tu as raison. Je la hais en fait.

Noé se lève et grimpe les marches sans compter. Une porte se claque. La porte de sa chambre. Je laisse ma tête tomber en arrière. Le plafonnier n'est pas super beau. Tout comme mes idées en cet instant. Mon téléphone, qui se met à sonner sur un air de Muse, m'aide à redescendre sur terre et me fait sourire. Je décroche et un rire que je connais bien s'échappe du combiné.

- Poto ! s'exclame Adam. On est au parc avec les autres, ça te dit de venir ?

- Alcool ?

- À flots mon gars !

- J'arrive.

Je glisse un mot sous la porte de Noé pour le prévenir de mon départ imprévu et grimpe sur mon vélo pour les rejoindre. J'ai besoin de boire et d'effacer mes pensées. Juste pour quelque temps.

Je te dirai que je t'aimeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant