10.

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À cause de ma rêverie, j'ai raté mon arrêt. Je dois donc marcher cinq bonnes minutes de plus jusqu'à chez moi. Mais là, clairement, c'est la dernière chose qui m’intéresse. Je repense à Loïk, à ce que je ressens quand je suis avec lui. Mais je n'ai pas le temps d'y penser très longtemps. Je reçois la notification de mon rappel de visite. Je fais ça pour me forcer à y aller. À me dire que je fais ça pour une bonne raison. Mais à chaque fois, c'est pareil. Je finis toujours par regretter.

Je referme la porte d'entrée derrière moi.

- Je suis là !

Je souris malgré moi en voyant mon père et mon frère. Tous les deux assis autour de la table de salle à manger, ils cherchent à bien comprendre la tectonique des plaques.

- Ça bosse dure ?

- Oui. Mais pas quand tu es là ! se plaint Noé en grimaçant.

- Noé, tu veux bien aller travailler dans ta chambre, je dois parler avec ton frère.

Ce genre de chose ne présage jamais rien de bon. Mon petit frère acquiesce, récupère ses affaires et grimpe à l'étage.

- Ferme la porte, ordonne mon père.

On l'entend s'enfermer dans sa chambre. Je pose mon sac à mes pieds et m'assois sur la place qu'il me montre.

- Alors... Tu voulais qu'on parle de quoi ?

- J'ai reçu un appel de ton CPE aujourd'hui.

- Hum... Pour quoi ?

- Pour me dire que tu as séché le cours de maths et que tu as dormi pendant les deux heures d'histoire de ce matin. Et que ça dure comme ça depuis quelques jours.

Je gratte le bois de la table avec mon ongle. Son regard arrive à chaque fois à me faire regretter.

- Je sais que tu dors mal la nuit, mais ce n'est pas une raison pour dormir en cours.

- Dans ce cas, je dors quand ?

- La nuit. Tu as un bac à passer et donc, des cours à suivre et à apprendre.

- Et si j'en veux pas du bac ? Et si je veux bosser à la place ? lui demandé-je sérieusement.

- Sans diplôme ? Bonne chance.

- La tante d'Adam cherche quelqu'un pour travailler dans son magasin.

Il se prend le visage entre ses mains et se met à rire.

- Ça ne me gêne pas que tu travailles le week-end pour mettre de l'argent de côté, mais il est hors de question que tu quittes l’école. Tu as dix-sept ans, tu es donc encore mineur alors tu vas à l'école.

- J'en ai plus rien à foutre de l'école.

- Tu sais quoi ? On va prendre rendez-vous de médecin. Et de psy.

Je me lève, hors de moi.

- Alors pour toi, je suis comme maman ? Je suis fou, c'est ça ?

- Non. Tu es un adolescent qui dors mal et qui fait des crises d'angoisse. Je suis juste inquiet pour toi.

Sans lui laisser le temps de me retenir, je récupère mon sac et claque la porte d'entrée. Inquiet. Il s'est jamais inquiété pour moi ou pour Noé. Ni avant. Ni maintenant. Tout ce qu'il l’inquiétait, c'était son image. Autrement, il ne l'aurait jamais laissé faire ce qu'elle à fait. Je visse mes écouteurs, lance une musique au hasard et augmente le son. Nine Teen s'enclenche et j'ai envie de hurler. Je le déteste. Je tourne la tête et je suis surpris de l'endroit où je me trouve. À travers la vitre du café, j'aperçois Uriel assis devant le bar et il rit avec Melkior. Je coupe la musique et passe la porte, espérant peut-être trouver Loïk.

- Je vais finir par croire que t'es accro aussi, lâche Uriel dans ma direction.

- Lâche-les un peu, tu veux. Loïk est sur la scène.

Je le remercie et le retrouve facilement sur le remontant, une guitare dans les bras. Un autre garçon à côté de lui. Un garçon que je n'ai jamais vu et dont il ne m'a jamais parlé. Un garçon à la peau caramel et aux cheveux blancs.

- Esté ? l'interpelle-t-il en instant beaucoup trop sur le « é »

- Oui, doudou ?

- Pourquoi t'as pas pris ta basse alors que je t'avais demandé de le faire ?

- Parce que je suis un imbécile, doudou.

Doudou. Pourquoi entendre ce garçon l'appeler comme ça m'agace-t-il autant ? Le garçon se retourne vers Loïk et lui donne un large sourire. Le genre de sourire charmeur que font les filles à leurs copains.

- Un gros imbécile, parce que je te l'ai rappelé hier soir, ce matin et avant que tu arrives.

Le garçon sourit bêtement et récupère un portable. Loïk m'aperçoit enfin, au moment où j'avais envie de disparaître.

- Salut ! Qu'est-ce que tu fais là ?

- Rien. Je vais y aller.

Je serre la bretelle de mon sac dans mon poing et me dirige vers la sortie. J'ai aucune envie de le détester lui aussi. Mais au moment où j’atteins la porte, sa main attrape mon poignet. Une chaleur se diffuse dans tout mon bras. Je me sens si faible avec lui.

- Attends, pourquoi tu t'en vas ?

- T'as l'air occupé. J'ai pas envie de te déranger.

- Mais tu déranges pas. Esteban attend son intrus et après, on jouera. Tu pourrais rester pour nous écouter.

J'ai envie de l'écouter. Mais pas de voir un autre sourire sur le visage de ce Esteban. Je baisse la tête. J'ai honte de moi et de ce que je veux. Loïk a le droit de voir qui il veut. Il a le droit de sourire à qui il veut.

- Non, je préfère pas.

- T'es sûr que ça va ?

Il est plus proche de moi. Ses doigts glissent de mon poignet à ma main. J'arrive à sentir son parfum de clémentine. N'importe quel autre garçon hétéro l'aurait repoussé, lui aurait demandé pourquoi il est aussi proche. Mais je n'y arrive pas. Je n'ai pas envie qu'il s'éloigne.

- Loïk...

- Je l'ai !

Un autre garçon pousse rapidement la porte du café, la cognant contre le mur.

- La porte ! s’énerve Melkior.

- Pardon. Mais je l'ai ! Esté, j'ai la basse !

On entend des applaudissements à l'autre bout du café.

- Bravo, mon cœur ! le félicite Esteban toujours en applaudissant. Maintenant, on va enfin pouvoir jouer !

Uriel quitte prestement le comptoir pour aller sur scène.

- Viens.

Loïk prend ma main dans la sienne. Il semble tellement pressé d'aller jouer qu'il ne se rend pas compte de son geste. Et je crois que dans un sens, ça me plaît. Il m'indique une place pour que je puisse m’asseoir et il monte sur scène en enfilant la ceinture de sa guitare. Esteban prend sa basse, le garçon arrivé en trombe s'assoit derrière la batterie et Uriel empoigne une autre guitare.

Je n'ai aucun mal à reconnaître la mélodie au bout de seulement quelques notes. Nine Teen, de Niives. Ça n'a rien à voir avec ce que je ressentais plus tôt. Je ne suis plus en colère. Je n'y arrive tout simplement pas. Pas en entendant jouer Loïk. Pas quand je vois ses doigts glisser sur les cordes. Pas avec le sourire qu'il m'offre. Un sourire charmeur. Mon ventre se tord. Je crois que je suis foutu.

Je te dirai que je t'aimeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant