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Je crois que ce qui me manque le plus, ce sont mes nuits complètes. Je devais assumer celles qui étaient écourtées par les fêtes, puisqu'elles l'étaient de ma propre décision. Mais j'ai bien plus de mal avec celles peuplées de cauchemars. Que ce soit les miens ou ceux de Noé. Comme ce soir. Son cri m'a fait ouvrir les yeux. J'écarte la couette de mon lit et me lève pour le rejoindre dans sa chambre. Il est assis sur son lit, la respiration haletante, accompagnée de son air paniqué. Je m'approche doucement de lui et énumère les nuances de couleurs que je connais. Il entoure ses jambes de ses bras et j'en profite pour le rejoindre sur son lit, le dos appuyé contre la tête de lit. Il vient se caler contre mon épaule et prend ma main pour que je passe mes doigts dans ses cheveux.

- Pourquoi t'es parti ? sanglote-t-il contre moi.

- Mes amis m'avaient proposé de sortir. J'ai glissé un mot sous ta porte pour te prévenir.

Mon regard dérive sur sa table de nuit, là où se trouve le petit mot tout froissé. Il ne m'avouera pas m'en vouloir de l'avoir laissé seul. Ses bras se resserrent autour de ma taille et il gémit contre moi. Un son qui provient de son profond mal-être.

- Papa est pas rentré... Papa nous aime pas...

Je me mords la langue pour ne pas répondre une connerie. Je suis de nature impulsif, mais Noé n'a pas besoin de ça. Il a treize ans et tout ce que nous vivons, c'est beaucoup trop pour lui.

- Tu sais bien que c'est faux. Papa travaille la nuit pour qu'on puisse vivre tout les trois ensemble. Et puis, on est censé dormir la nuit. Donc ce n'est pas trop grave s'il n'est pas là.

Il hoche la tête et glisse un peu dans son lit.

- Tu as pensé à elle ?

Il acquiesce d'un nouveau signe de tête. Un frisson remonte dans ma colonne. Je rejoue la scène dans mon esprit. Les cris, les pleurs, la vision d'horreur... Sa main, qui attrape la mienne, me permet de revenir auprès de lui. Je ne saurais dire lequel de nous deux est nécessaire à l'autre.

- Pourquoi t'es triste ? me demande-t-il en traçant une ligne sur ma joue avec son doigt.

- Je ne suis pas triste mon petit renard, le rassuré-je en glissant ses boucles sur son front.

Je ne sais qui remercier pour m'avoir permis de garder le souvenir de la première fois que j'ai porté Noé. Ce tout petit garçon qui a cessé de pleurer en venant dans mes bras.

- Aller, tu devrais dormir avant d’être de mauvaise humeur demain.

Je le borde sous sa couette et il me retient avant que je ne parte.

- Tu veux bien rester jusqu'à ce que je dorme ?

Je réponds par l'affirmative. On se retrouve tous les deux emmitouflés dans nos pyjamas, sous sa couette, à se raconter des histoires. J'ai besoin de ces moments avec lui. Comme quand on était plus petits, à se demander si on irait sur la Lune ou si Noé pourrait un jour être comme les autres. Il ne tarde pas à se rendormir, le nez plongé dans sa peluche renard.

Et je n'ose pas fermer l’œil du reste de la nuit.

Mon père vient frapper à la porte quand la lumière du jour s'immisce entre les volets.

- Tristan ? Qu'est-ce que tu fais là ? Oh...

Je n'ai pas besoin de répondre. Il a parfaitement compris la nuit compliquée que vient de passer Noé.

- Je... Je vais appeler ton lycée. Leur dire que tu ne viendras pas aujourd'hui.

- Pas la peine, rétorqué-je en me levant. Je vais prendre un café et ça ira pour la journée.

- T'es sûr ?

- Oui. Une douche, un café et je serais prêt.

- Bon... Je vais te préparer ça. Un sucre.

- Avec du lait, complété-je.

Il sourit timidement et redescend dans la cuisine.

Après une douche presque froide pour me réveiller, je le rejoins dans la cuisine. Il est en appuis contre le comptoir, une lettre dans la main. Son café refroidit à côté de lui.

- Une admiratrice secrète ? plaisanté-je en beurrant une tartine.

- Quoi ? Ah non... À moins que la banquière ne veuille un autographe.

Je m'interroge sérieusement dans ce que mon père a bien pu faire durant son adolescence pour vivre ce foutu coup du destin. Et de mon côté, je ne peux pas faire grand chose pour l'aider.

- Dis-moi ce que je dois faire.

- Rien mon grand. Aide simplement ton frère et ça ira très bien. Tu as dix-sept ans, ce n'est pas à toi de gérer ce genre de chose.

Son téléphone sonne et il met fin à la conversation. Noé ne tarde pas à apparaître dans les escaliers, sa peluche dans les bras. Il ne descend pas la dernière marche.

- Je veux rentrer à la maison...

Son portable à l'oreille, notre père l'observe et fixe un point dans le vide.

- Je m'excuse, mais je vais devoir annuler notre rendez-vous, déclare-t-il à son interlocuteur. Ah... Et bien, on fera sans !

Il raccroche pour se rapprocher de Noé, mais mon frère refuse de venir dans ses bras et il s'assoit à côté de moi.

- Ce soir, on pourra voir un film si tu veux, lui proposé-je pour changer de sujet.

- Celui que je veux ?

- C'est toi qui choisis. Et on se mangera du pop-corn.

Il pioche une part de brioche du paquet et la contemple un moment dans son assiette sans y toucher. Puis il regarde notre géniteur.

- Tu travailles ?

- Pas ce soir. On regardera le film tous les trois.

Ça semble lui convenir avec le grand sourire qu'il affiche.
Nous déjeunons tous les trois en papotant et je ne tarde pas à les abandonner pour aller au lycée.
Je ne croise personne dans le bus et enfile mon bonnet en sortant de celui-ci, plus par envie que pour me couvrir du froid.
J'ai à peine le temps de mettre un pied dans l'enceinte de l’établissement, qu'Adam m'accapare en secouant son portable devant moi.

- Tris, on a un énorme problème !

- Laisse-moi devinez... T'as pas révisé ta géo ?

- Non. Enfin oui. Mais là n'est pas le sujet ! Regarde ça !

Il clique sur le bouton lecture sur son portable et une vidéo se lance. Dessus, j’aperçois Arllem se tenir contre le mur du gymnase et plusieurs émojis mort de rire sur le coin de l'écran. Rien ne m'alarme pour le moment. Jusqu'à ce que William, un garçon d'une autre classe, le rejoigne. Ils parlent sans que l'on puisse connaître le sujet puisqu'il n'y a aucune piste audio et William l'abandonne. Arllem le regarde partir, laisse tomber son sac au sol et s'assoit sur le bitume, la tête dans les bras.
Adam reprend son portable et le range dans sa poche. Mes poings me démangent affreusement.

- Elle vient de qui la vidéo ?

- Romain...

- Je te jure, je vais lui péter les dents un de ses jours. Il est où Arly ?

- Émilie est avec lui. Mais je ne sais pas où.

- Et William ?

- Terrain de basket.

Je pars vers le dit terrain, Adam sur mes talons. Je ne vais avoir aucun scrupule à détruire sa jolie petite gueule d'ange.

Je te dirai que je t'aimeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant