Ondulys, Tome 1 - Les Souffleurs de Nuages [Terminé]

Prologue

Ce jour-là, le temps se rida d'une nouvelle ondulation.

Le Palais Astral venait à peine de s'ouvrir quand, en quelques minutes, la foule s'était déversée sous son immense dôme de vitraux. D'abord, l'exclamation des visiteurs pressés les uns contre les autres s'était répercutée contre les murs dans un écho tonitruant, mais, très vite, celui-ci avait été noyé par les voix elles-mêmes, assez bruyantes pour le recouvrir.

Désormais, les acclamations de milliers de personnes grondaient de l'autre côté d'une grande porte massive. Si le jour déclinait progressivement au dehors, les rayons de l'astre solaire continuaient à caresser la peau de la jeune femme qui attendait là, les yeux rivés sur la douce couleur du bois.

Couvert de fines sculptures, cet ultime rempart à la ferveur de tout un peuple se tenait devant elle, fier et droit. Une lumière diffuse éclairait les détails des planches de tilleul. Une lune et un soleil s'y épanouissaient, gigantesques et imposants — sereins et réconfortants. Réconfortants, ils avaient su l'être. Seulement, aujourd'hui, c'était le jour : l'apogée de semaines entières de préparatifs et de rituels plus complexes les uns que les autres. La seule cérémonie qu'elle redoutait vraiment. La seule à laquelle elle participait personnellement.

La pire.

Aussi épaisses qu'elles fussent , ces portes ne parvenaient pas à étouffer le brouhaha qui régnait dans le Palais Astral. Comme chaque année, la capitale d'Ondulys tout entière déchaînait son excitation. Le peuple attendait l'évènement avec tant d'espoirs qu'il se battait même pour pouvoir y assister, puisque la grande salle du dôme ne pouvait pas accueillir tout le monde. Alors, les cris de joie comme de rage résonnaient à des dizaines de kilomètres autour de la cité, si bien que les murs du palais eux-mêmes tremblaient depuis des jours.

Soulheila savait tout à fait ce qui l'attendait de l'autre côté de l'immense porte. Elle avait eu l'occasion de le vivre à plusieurs reprises déjà mais ne s'y habituerait jamais. En dehors de cette période de l'année, le dôme qui abritait le Mémorial du Sacrifice était vide et moribond. Mais, lorsque venait le temps de la cérémonie, un véritable raz-de-marée humain déferlait sur les dalles de marbre de son sol jusqu'à les faire entièrement disparaître aux yeux du monde.

Perchée sur des talons vertigineux qui soulignaient son galbe naturel, Soulheila attendait seule, les yeux désormais fermés. Elle tira sur les pans de sa tenue couleur givre pour se donner une contenance.

Ils l'avaient choisie pour elle, et elle n'était franchement pas convaincue par son apparence. Elle rouvrit les paupières pour jauger sa robe. Asymétrique, l'étoffe laissait entrevoir la quasi-totalité de sa jambe droite comme si elle n'avait rien porté. Des centaines de pierres précieuses étaient intégrées aux broderies avec un fil d'argent d'une délicatesse rare, mais elles brillaient de reflets aux coloris parfois douteux. Outre l'aspect tape-à-l'œil qui l'écœurait toujours, la jeune femme détestait montrer ses jambes et se serait bien passée de cet accoutrement qu'elle trouvait ridicule.

Elle pesta intérieurement à l'idée de ce qu'elle ferait bientôt.

Bien trop tôt.

Déjà, une odeur nauséabonde de transpiration montait, insidieuse, jusqu'à ses narines : celle des badauds, bien sûr, mais aussi et avant tout la sienne. Le stress emporta sa raison et fit vaciller ses sens jusqu'à la faire grimacer de dégoût. Elle tenta en vain d'effacer les gouttelettes qui perlaient sur sa peau. La jeune femme soupira, un brin exaspérée, car c'était tout son corps qui se recouvrait maintenant d'une pellicule moite, collante .

Soulheila tenta de faire abstraction de son odorat . Ce ne fut pas très difficile, puisque son bustier la compressait au point de lui couper le souffle. Elle rassembla ses forces et sa lucidité. La jeune femme n'aimait pas jouer au petit jeu qu'ils lui imposaient, mais elle n'en avait guère le choix.