Chapitre 31

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Il fallut une journée de voyage complète, au rythme relativement lent que leur permettait le terrain, pour que les trois cavaliers atteignent enfin l'autre extrémité de la forêt sombre. Pendant toute leur progression, ils avaient guetté, anxieusement, le moindre bruit suspect. Ils étaient tombés nez-à-nez plusieurs fois avec des animaux sauvages ; avaient même dû contourner rapidement une partie du bois, occupée par un ours colossal. Fort heureusement, ils étaient parvenus à lui échapper avant qu'il ne les trouve trop envahissants. Dès qu'ils réussissaient à rejoindre une véritable piste de chasseurs, plus large et mieux entretenue, ils se plaçaient de front et galopaient ensemble. Leurs chevaux en profitaient pour se détendre un peu, en déliant toutes leurs articulations. Ils allongeaient l'allure, le dos arrondi, l'encolure tendue vers le sol, comme s'ils cherchaient à avaler un peu plus de distance encore. Siliero était fier de dépasser légèrement les juments, qui ronflaient en essayant de conserver leur place à ses côtés. Frénésie était jeune et manquait un peu d'endurance, et même si Mylice avait eu l'occasion à de nombreuses reprises de montrer sa puissance, elle ne parvenait pas à égaler le cheval d'Evaëlle.

Depuis leur départ de la clairière à l'étang, Cahya meublait toutes les conversations. Eldric agissait comme si rien ne s'était jamais passé entre Ev et lui. Elle, lançait parfois quelques piques pour le faire réagir. Sans succès. Elle attendait de plus amples explications. S'il pensait vraiment qu'elle se contenterait d'oublier ce moment, sans plus de considération, Ric se trompait. Elle ne lâcherait pas l'affaire. Elle était sûre de ne pas être la seule à avoir apprécié leur étreinte. Il pourrait bien nier l'évidence autant de temps qu'il le voudrait, elle n'abandonnerait pas. Il devait avoir compris, désormais, qu'elle l'aimait terriblement. En tout cas, elle, était certaine qu'il partageait ses sentiments... Du moins, elle préférait y croire, afin de chasser le doute qui habitait chaque part de son être, jusqu'à ronger son cœur, progressivement. Maladroitement.

Enfin sortis des fourrés, à l'orée de la forêt qu'ils quittaient enfin, soulagés, Eldric, Cahya et Evaëlle se félicitaient de retrouver les rayons du soleil. Ils les réchauffaient suffisamment pour qu'ils se permettent enfin de quitter leurs lourds manteaux. Les jeunes gens accueillaient cette douceur avec nostalgie. Tout ce qu'ils venaient de vivre dans ces bois les avait marqués, irrémédiablement. Même la Souffleuse de Nuages, qui n'avait que peu commenté leur mésaventure, respirait plus calmement depuis qu'elle était en capacité de voir tout autour d'elle. Les Plaines de l'Infini s'étendaient à des centaines de kilomètres à la ronde, si bien que le relief terrestre semblait inexistant ici. Le Mont Div était dorénavant loin, tout comme les Pics Déchirés. Eux, ressemblaient à des croquis effacés par le temps, qu'on distinguait à peine en plissant les yeux, bien au-delà des arbres.

Ici, l'agriculture était omniprésente. D'immenses champs de maïs, arrivés à maturation depuis déjà quelques temps mais pas encore tous récoltés, s'implantaient au milieu d'un ingénieux système d'irrigation. De tout petits ruisseaux se promenaient entre les cannes et serpentaient dans ce paysage presque entièrement plat. Entre ces parcelles cultivées, quelques vergers d'arbres fruitiers dont il ne restait bientôt plus aucune feuille vigoureuse, s'étalaient sur des terres balayées par le vent. Partout ailleurs, à perte de vue, l'on voyait évoluer des troupeaux, en semi-liberté, dans des prairies encore verdoyantes. De-ci de-là étaient construits des abris pour les bêtes, des étables, quelques petites maisonnettes.

Cahya revivait depuis qu'elle sentait l'air circuler autour d'elle comme si elle avait été au sommet de sa montagne natale. Ici, le vent était tellement vif et les nuages tellement bas que l'on voyait leurs ombres raser le sol en un balai constant. Le contraste du soleil donnait l'impression que l'on aurait caché l'environnement avec de grandes toiles et que celles-ci se déplaçaient en suivant un but mystique. La Souffleuse de Nuage rayonnait de bonheur et elle s'empressa de mettre pied à terre pour danser au milieu de ces vagues de lumières. Frénésie la fixait étrangement. Elle finit par hennir, signifiant à sa cavalière qu'elle la trouvait suspecte. Cahya éclata de rire lorsqu'elle reçut même un petit coup de chanfrein dans le dos, qui manqua de la faire tomber quelques pas plus loin.

Ondulys, Tome 1 - Les Souffleurs de Nuages [Terminé]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant