Ondulys, Tome 1 - Les Souffleurs de Nuages [Terminé]

Chapitre 6

Assise sur une chaise en fer forgé devant la table de la cuisine, Ev contemplait son assiette avec ennui. La douce odeur qui s'élevait en volutes de fumées vers ses narines était pourtant alléchante. Elle était tentée d'y goûter, mais se renfrogna. Elle était trop perturbée pour tenir un repas.

Depuis la dernière phrase prononcée par Eldric, le silence s'était complètement abattu sur elle. Une seule chose le brisait encore : les bruits de couverts incessants qu'émettait Meera en mangeant avec hâte, comme si quelqu'un allait la voler. Bien qu'Evaëlle douta qu'elle ne parvienne à sentir le moindre arôme, elle avait véritablement l'air de se régaler.

Ric, lui, était complètement muet. Il s'acharnait à être le plus discret qu'il pouvait, parvenant même à se faire oublier.

Comme il le lui avait demandé, Evaëlle n'avait plus émis un seul regard dans sa direction. Refroidie pas sa raideur, elle n'avait aucune envie de se faire réprimander encore.

Alors qu'elle jouait négligemment avec un morceau de patate, la vieille femme se servait une troisième assiette.

     - Mange, ma fille, lança Meera avec un signe de tête. Je sais que ça n'est pas bien beau, mais c'est très bon, tu verras.
     - Oh, l'aspect n'y est pour rien, fit-elle. Je n'ai juste pas beaucoup d'appétit en ce moment...
     - Mange, insista Meera d'une voix douce. Pour résoudre les problèmes du cœur il faut être bien dans son corps !

Ev força un sourire et approcha sa cuiller de sa bouche pour goûter du bout des lèvres. Son bras, bien affaibli, tremblait nerveusement. Quand elle parvint enfin à viser juste pour avaler une première bouchée, elle fut étonnée du si bon goût de cette mixture. Elle n'avait jamais rien mangé de tel et ne reconnaissait pas tous les ingrédients. Certains, d'ailleurs, semblaient avoir été complètement déformés par la cuisson.

     - Ne m'en veux pas jeune fille, je fais la cuisine sans application. Jeter tous les composants dans une marmite et laisser mijoter est ma seule spécialité. Ceci étant dit, Ric ici présent nous a ramené des centaines d'épices raffinées de ses voyages et cela suffit à rattraper n'importe quel brouet. Je suis ravie de t'en faire profiter !

Surprise de ne pas être si barbouillée qu'elle le pensait, Evaëlle termina son assiette avec énergie. Elle eut à peine le temps de poser ses couverts dans son assiette que la voix de la vieille Sage raisonna contre les murs :

     - Maintenant que tu es rassasiée, ma fille, il faut qu'on parle.

La jeune femme en sursauta tant ces mots vibraient d'une résolution forte. Impressionnée, elle articula difficilement :

     - Je... Je ne sais pas vraiment par quoi commencer, s'excusa-t-elle.
     - Alors c'est moi qui parlerai, acquiesça Meera, compréhensive.

Elle lui tendit une main rassurante et l'entraîna à nouveau dans la pièce à vivre où elles s'installèrent confortablement. Toujours dans la cuisine, à quelques pas de là, Ric leur préparait du thé pour rester à l'écart.

     - Jeune fille, tu ne me connais que très peu même si je ne doute pas que tu gardes quelques souvenirs de moi.
     - On m'a dit un jour qu'on ne pouvait pas vous oublier... murmura Ev en esquissant un sourire sincère.
     - En effet, se félicita la vieille dame. Tu connais déjà mon prénom et mon nom importe peu. Je suis la mère d'Esana Liorn, que tu connais bien.

Evaëlle approuvait d'un hochement de tête entendu à chacune de ses déclarations. Elle repensa à la pauvre Esana, clouée au lit depuis de trop longs mois, incapable de marcher seule. Sa mine s'éteignit à nouveau. Elle était terriblement désolée pour cela.