Chapitre 17

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La main posée sur le genou, Evaëlle commençait à regretter sa sortie nocturne. La brise, trop fraîche, faisait s'hérisser tous ses poils. Elle approcha rapidement la main de son visage pour étouffer les quelques éternuements qui tentaient de déchirer le silence. Tirée du sommeil par les angoisses qu'elle refoulait depuis des jours, elle entendait rester discrète en s'éloignant du village au travers des fourrés. Elle avait ajouté un second bandage à son genou mais s'était autorisée une pause pour le masser longuement, tant il était douloureux. Cette journée semblait sans fin.

Elle avait pris la direction du point de vue panoramique à l'écart du village et s'était engouffrée dans la forêt de conifères et de feuillus qui s'étendait à perte de vue sur ce versant de la montagne. Depuis, elle traçait dans le sol humide son parcours, de son talon, pour s'assurer de retrouver son chemin. Elle espérait ne pas croiser trop de bêtes à cette altitude. Si elle pouvait éviter de tomber nez à nez avec un sanglier, elle serait soulagée.

Pour l'heure, elle n'entendait que la douce agitation des veilleurs de nuit. Ces petits animaux, paisibles, timides, qui profitaient de l'obscurité pour chasser les insectes et sautiller sur les tapis de mousse. Ils retournaient par endroits la terre, heureux d'y trouver des trésors. Ev inspira profondément. Le parfum des feuilles en décomposition se mélangeait à l'odeur de sève qui s'élevait des troncs qui lui barraient la route. Heureusement, le ciel, lumineux grâce aux rayons de lune, lui permettait de se déplacer sans grande difficulté. Elle reprit la marche en évitant les obstacles et se mis en quête d'un espace tranquille. Quelques mètres plus loin, elle jeta son dévolu sur un trou dans les frondaisons qui laissait entrapercevoir les étoiles entre deux branchages clairsemés.

Evaëlle s'avisa qu'elle n'avait pas réfléchi jusqu'au bout. Elle s'était rendue là pour planter l'émeraude d'Erevi et communiquer avec son père. Mais pour le faire, fallait-il encore qu'elle parvienne à atteindre le sol sans se blesser encore. Peut-être aurait-elle dû demander son aide à Eldric avant qu'il ne s'en aille ? Non. Sa décision était prise et elle ne le retiendrait pas. En plus, il allait bien falloir qu'elle apprenne à se débrouiller seule. A s'affranchir.

Déterminée, Ev s'appuya sur le tronc d'un grand châtaigner pour s'accroupir doucement, la jambe droite tendue devant elle. Elle parviendrait à s'assoir. C'était certain. Au prix d'une gymnastique complexe, la jeune femme arriva à ses fins. Elle regretta de n'avoir mis qu'un fin pantalon et une tunique courte lorsque l'humidité froide de la forêt pénétra les fibres de ses habits. Elle mordit sa lèvre inférieure pour ne pas frissonner plus. Une fois habituée à cette nouvelle sensation, sa paume gauche se plaqua sur la litière pour trouver l'emplacement parfait. Lorsqu'elle fût convaincue de l'avoir trouvé, elle se mit à gratter l'humus pour y faire un trou. Elle attrapa la Pierre de Vie de sa grand-mère, qu'elle avait glissé dans une de ses poches et l'installa au fond du nid avant de la recouvrir.

Quelques instants plus tard, le petit arbuste aux feuilles en forme d'épis s'élevait déjà au-dessus du sol. Il dépassait Evaëlle d'une bonne tête et se déployait dans des courbes parfaites. Sensuelles. Une douce lueur suintait de tous ses pores. Ev le contempla longuement, hésitante. La dernière fois qu'elle l'avait touché, elle avait été submergée par l'horreur. Elle avait bien cru ne pas pouvoir s'en remettre. Elle se souvenait être restée muette pendant des jours, trop peinée par les informations qu'elle avait captées. Qu'allait-il advenir maintenant ? Elle n'osa pas effleurer immédiatement les branchages de la pousse magique et se contenta de suivre ses ramages du regard. Progressivement, elle s'imprégna complètement de ses formes. Jusqu'à les connaître par cœur. Elle aurait été capable de les redessiner cent fois.

Dans un état second, happée par la splendeur du pouvoir de sa grand-mère, Evaëlle en oubliait presque de respirer. Autour d'elle, tous les sons s'étaient évaporés. Elle ne remarqua pas le hibou qui bouboulait à quelques mètres de là. Elle n'aperçut pas même le petit rongeur qui venait chatouiller ses bottes, attiré par l'arbuste brillant comme par des baies juteuses. Ev était là, seule avec elle-même, perdue dans un océan de bonheur. Son cœur, empli d'un incompréhensible sentiment d'extase, faisait grandir en elle une chaleur enivrante. La jeune femme ne put pas lutter. L'envie de toucher les feuillages était trop forte. Elle approcha sa main machinalement, vide de toute résistance. Soudain, elle devint la forêt.

Ondulys, Tome 1 - Les Souffleurs de Nuages [Terminé]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant