Chapitre 25

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Une musique entraînante s'élevait dans les dédales du château. Quelques notes de piano, légères ; d'un violoncelle, heureux ; d'une harpe, discrète. Elles caressaient les murs, comme une plume que l'on glisserait doucement, sur une peau frissonnante. Elles dansaient entre les pierres comme les feuilles d'un arbre qui s'envoleraient au vent. Chaudes, cristallines et envoûtantes, elles raisonnaient avec toute la candeur de l'écho qu'elles créaient. Elles chatouillaient les oreilles. Faisaient vibrer les cœurs. Enivrantes et fragiles. Sincères et poétiques. Sautillantes. Dans un rythme mi-puissant, mi-fluet, qui semblait mettre au diapason toutes les personnalités qui les entendaient.

Après s'être assurée que personne ne puisse la surprendre, la Reine s'accorda une danse compulsive. Elle respirait la joie de vivre ! Elle était d'une nature optimiste et rêveuse. Elle était transportée par les douces mélodies de l'Orchestre Royal. Ceci étant dit, elle détestait les valses conventionnelles et les mouvements que l'on espérait d'elle. Ce qu'elle aimait, c'était laisser aller son corps jusqu'à faire partie intégrante de ces harmonies. Alors, tout son être bougeait. Un sourire radieux sur les lèvres. Une liberté qu'elle s'accordait rarement, mais qui aujourd'hui lui faisait un bien considérable. Elle avait besoin de ces moments d'allégresse. De souplesse d'esprit. Elle n'attendait que cela, quotidiennement.

C'était là le seul avantage de ces rituels fastidieux et fatigants : la musique. Depuis des semaines, son palais avait pris des airs de bal géant. Et même si elle se refusait à danser en public, en accordant des faveurs aux prétendants qu'on lui avait choisis, elle ne s'en priverait pas à l'écart du faste de ces banquets maudits. Pour rien au monde. Alors, sautant d'un pied à l'autre, écartant les bras pour former des arabesques d'une rare élégance, elle retrouvait un temps son âme d'enfance. Du haut de ses presque vingt-cinq ans, elle débordait toujours de la même finesse. Elle trouvait dans la solitude un réconfort grandit.

Pourtant, elle avait ses limites, puisqu'un visage l'apaisait plus qu'aucun autre. C'était son plus grand secret... ou peut-être le second ? En réalité, elle ne les comptait plus. Être Reine l'avait tant de fois amenée à mentir qu'elle aurait été incapable de les quantifier. Elle cachait des choses à son peuple, c'était sûr. Elle omettait d'indiquer tous les détails de sa vie aux Maîtres des Légendes, bien entendu. Mais par-dessus tout, elle était convaincue qu'elle négligeait des informations pour elle-même, aussi. Peu importe, elle avait bien trop à penser pour s'en soucier vraiment...

Presque arrivée à l'embranchement qu'elle cherchait à rejoindre, au bout d'un très long couloir, en haut d'une salle bien trop grande, elle repris une marche formelle, s'empêchant toute fantaisie. Des gardes surveillaient l'endroit et il ne fallait pas qu'ils remarquent son air béat. Elle lissa les plis de sa longue robe argentée et marqua un temps d'arrêt. Devant-elle, un lustre outrageusement laid pendait en cascades étincelantes sur plusieurs mètres de haut. L'escalier à double révolution qui donnait-là était presque risible, tant il était majestueux. Car cette pièce était vide. On n'y faisait rien, à part la traverser. Sur ses murs, quelques portraits de famille, souvent ratés, habillaient quelque peu cet espace perdu. En dehors de cela, l'endroit était intact. Fidèle à sa construction. Habité de néant.

L'ancêtre de Soulheila, le tout premier des Rois, avait un goût démesuré pour l'architecture. Il avait fait construire l'ensemble du complexe — l'excessif et prétentieux Palais d'Ondulys —, en rajoutant au hasard quelques lieux sur les plans. Juste au cas où. Ainsi, le corps principal du château était constitué de près de deux mille pièces, plus inutiles les unes que les autres. Le reste du complexe s'articulait en bâtiments aussi futiles qu'immenses. Ils s'élevaient en escaliers, en direction du ciel, tout au bord du précipice que formait la Faille entre les deux continents. Fabuleux et hostiles. Ils entouraient fièrement le Palais Astral, le temple construit autour du monumental cristal d'Azlyth et de Siliero, et abritaient jalousement toute leur histoire. Faits de demis-niveaux et de passages cachés derrière de longues tapisseries, il était simple de s'y perdre. Terriblement facile.

Ondulys, Tome 1 - Les Souffleurs de Nuages [Terminé]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant