Chapitre 49

56 15 26
                                    



La nuit qui précédait le départ d'Eldric et Evaëlle de la capitale d'Ondulys avait été mouvementée. Après que les négociations avec les Maîtres des Légendes aient abouti, il avait fallu se débattre de leur orgueil pour pouvoir sortir du Palais Astral en sécurité. Ils avaient menacé Cahya de mort et elle avait eu du mal à leur faire comprendre qu'elle ne s'agenouillerait pas devant leur sainte supériorité. La Souffleuse de Nuages n'était pas femme à se laisser faire de la sorte, et, finalement, ils étaient arrivés à un accord tacite : Cahya aiderait à remettre de l'ordre dans la bien trop grande pièce du Sacrifice. Avec elle, un balais d'une centaine de serviteurs qui couraient de tous les côtés pour s'assurer qu'il ne reste plus aucune trace du chaos qui avait régné là quelques heures plus tôt.

Ev et Ric, eux, avaient passé la nuit à subir l'interrogatoire de quelques-uns des Maîtres, qui, curieux, s'étaient attelés à découvrir tout de l'Héritière Légitime : de son don originel, bien sûr, mais aussi de celui qu'elle s'était merveilleusement offert elle-même ; de leur relation particulièrement compliquée induite par le don que leurs prédécesseurs avaient eux-mêmes créé pour les Liorn en se jouant d'une génétique stricte ; du miracle de la survie de l'âme d'Evaëlle, qui, malgré tout, réagissait aux Pierres de Vie de ses ancêtres.

Evaëlle marchait d'un pas souple aux côtés d'Eldric pour rejoindre le Palais Astral où les attendait la Souffleuse de Nuages. Elle avait l'impression d'avoir traversé plusieurs villes depuis qu'ils avaient quitté les jardins, et pourtant, ils ne semblaient pas avoir avancé d'un iota. Encore ces longues allées froides qui laissaient parfois quelques voix se heurter à leurs murs ; toujours ces pierres grises et mornes qui ne disparaissaient jamais et ces quelques panneaux de bois. Ces panneaux qui se moquaient d'eux, leur indiquant la sortie tantôt à droite, tantôt à gauche, si bien qu'ils s'impatientaient désormais, désireux d'en finir au plus vite.

— Je ne suis vraiment pas faite pour cet environnement... souffla Ev en tournant la tête vers Eldric.

La main du Faucheur de Dons se resserra sur ses doigts tandis qu'il caressait sa paume du pouce pour la rassurer.

— Que dirais-tu de retrouver un moment la vue du lac Traunt ? proposa Ric.

Ev souleva un sourcil, interrogatrice, en penchant légèrement la tête sur le côté. Cette moue dubitative faisait toujours son petit effet sur le jeune homme qui s'empressa de tirer ses cheveux vers l'arrière pour se donner une contenance, avant de rajouter :

— Je dois voir Meera pour...

— Je me doute, coupa Ev en haussant les épaules.

Eldric n'était pas prêt à lui expliquer tout de suite ce qu'il se tramait vis-à-vis du ponton qui l'avait mise à l'eau des semaines plus tôt. Elle avait été bien étonnée d'entendre prononcer son nom au beau milieu de leurs échanges avec les Maîtres des Légendes et ne s'expliquait pas l'intérêt qu'ils avaient pour lui ni en quoi cela pouvait justifier qu'ils acceptent la présence d'Eldric à ses côtés. Mais peu importe, une certitude l'habitait. Le Faucheur de Dons ne prendrait pas le risque de sacrifier son grand-père sans être sûr de lui, encore moins en sachant qui serait la première à lui faire payer une telle erreur. Evaëlle lui faisait confiance : il savait quoi faire face à ces êtres sans vergogne. Et si elle ne connaissait que très peu la grand-mère du jeune homme, elle ne pouvait en aucun cas douter de la tempête qui s'éveillerait en elle s'il avait véritablement vendu son mari.

Les deux jeunes gens s'engouffrèrent dans un énième dédale entre des colonnes de marbre blanc au diamètre indécent. Quatre adultes n'auraient pas suffi pour en faire le tour avec les bras grands ouverts, et ce même s'ils avaient épousé leurs sculptures au point de se les graver dans les chairs. Ici, le décor pouvait sembler sobre de loin, mais les finitions de la pierre étaient toutes plus alambiquées les unes que les autres. Des scènes d'épopées lointaines ; d'oiseaux aux plumes qui dansaient au vent et donnaient l'illusion de bouger à mesure du déplacement des visiteurs du palais ; d'animaux fantastiques dont Evaëlle n'avait jamais entendu parler et qui semblaient refléter une époque bien trop ancienne pour qu'aucun être ne s'en souvienne encore ; de fleurs dont les jeux d'ombres et de lumières embaumaient presque l'air d'un parfum printanier, en plein hiver.

Ondulys, Tome 1 - Les Souffleurs de Nuages [Terminé]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant