Chapitre 4

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      Ploc, ploc, ploc, ploc, ... plouf.

Le galet, parfaitement plat, avait fendu l'air avec un naturel certain. Ses impacts successifs à la surface de l'eau dépendaient d'un angle parfait, calculé avec justesse par un jeune homme concentré. Son visage trahissait toute l'ampleur de sa réflexion. Les sourcils froncés, un œil plissé, il reprenait déjà dans sa main droite un nouveau projectile. Légèrement penché en avant, il arma son bras et relâcha sa prise dans un mouvement fluide. Une précision chirurgicale. A nouveau, il se délecta du son qu'offraient ses ricochets.

Jeter des cailloux, comme aimait à le dire son grand-père, était l'un de ses passe-temps préférés. En réalité, c'était là l'une des rares façons qu'il avait de se calmer. De revenir aux sources. De fragmenter ses pensées pour retrouver ses esprits. De redonner un peu de cohérence à sa vie.

Machinalement, il chercha dans sa main gauche une nouvelle munition. Il lui fallut quelques secondes avant de s'apercevoir que celle-ci était vide. Il pesta gentiment en retirant sa chemise et la jeta au sol sur les planches du ponton humide, sans plus de considération.

     - Quand apprendras-tu à prendre soin de tes affaires ? railla une voix accusatrice derrière son dos.
     - Un jour... peut-être ! s'exclama le jeune homme en sautant à l'eau.

Il plongea avec tant de souplesse qu'il ne brisa qu'à peine le silence alentours. A la surface de l'eau, quelques rides légères laissaient paraître l'endroit où il l'avait percée. L'ondulation s'éloignait doucement lorsqu'elle fut croisée par une autre : Il était remonté à la surface pour respirer.

Il s'approcha du ponton et y déposa les pierres plates qu'il avait repêchées. Il se retourna vers le large, reprit une bouffée d'air et repartit à leur recherche. De temps en temps, il battait vigoureusement des jambes pour s'extirper d'un piège formé par de longues algues. Ces gestes brusques distordaient l'étendue bleutée.

Lorsqu'il estima avoir suffisamment de stock, il se hissa sur le ponton et se laissa retomber sur le dos. Il était encore tôt. Une teinte douce orangée illuminait le ciel et ses nuages. Quelques lenticulaires – des nuages en forme de soucoupes – dominaient le mont Div, à l'Est, et s'incurvaient sensuellement sous les timides rayons du soleil. Ils annonçaient la pluie. Au-dessus du lac, des amas duveteux dansaient au gré des vents. Ils prenaient des formes curieuses, parfois surréalistes.

      - Tu vas rêvasser longtemps ? interrogea à nouveau la voix rauque d'un vieil homme.

Il ne réagit pas. Il n'avait aucune envie de s'expliquer sur quoi que ce soit. Il avait bien assez de choses en tête pour y prêter attention.

     - Eldric ! tonna la voix.
     - Lâche-moi, vieille planche ! cracha-t-il.

Il n'était pas d'humeur à jouer à ce jeu-là. Apparemment, le vieillard l'avait compris : il n'insista pas.

Se redressant, le jeune homme recommença son manège. Lancer, observer, compter. Lancer, observer, compter... Et, accessoirement, ordonner ses idées.

     - Al ? questionna-t-il après quelques minutes.
     - Je t'écoute, mon garçon, soupira la voix d'un ton blasé.
     - Le destin se joue souvent de nous, n'est-ce pas ?

C'était plus une affirmation qu'une véritable question. L'impasse dans laquelle il se trouvait était suffisante pour le lui confirmer.

     - Ne m'en parle pas, gamin. Crois-tu vraiment que je suis le mieux placé pour te contredire ? ironisa-t-il.
     - Je ne pense pas, vieille planche.
     - Bien répondu, gamin...

Eldric poussa son tas de projectiles dans un coin du ponton pour les regrouper. Il se rhabilla de sa chemise froissée et arrangea légèrement le pantalon mouillé qui lui couvrait les jambes. Il balaya le lac Traunt d'un regard circulaire et quitta son observatoire pour entrer dans la grande baraque de pêcheur dont il faisait partie.

Ondulys, Tome 1 - Les Souffleurs de Nuages [Terminé]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant