Ondulys, Tome 1 - Les Souffleurs de Nuages [Terminé]

Chapitre 5

Ev était toute engourdie. Elle n'avait pas bougé de la nuit et gardait la marque du bois incrustée dans sa peau. Sa hanche était douloureuse, si bien qu'elle eut besoin d'un petit délai d'adaptation avant de réussir à déplier entièrement sa jambe droite pour se redresser de toute sa hauteur. Elle roula les épaules en arrière et senti craquer les articulations de son dos. Elle s'approcha de la fenêtre et tira le rideau pour cacher la lumière trop agressive du soleil.

Elle fit un petit tour de la pièce pour découvrir la chambre qu'elle n'avait pas pris le temps d'observer la veille. Les meubles étaient simples mais de bonne facture. En s'approchant, elle reconnut le travail de son père. Cette façon épurée qu'il avait de faire du beau. Cette tendresse dans la manipulation du bois, comme s'il avait été poncé par des caresses. Les arrondis si reconnaissables des angles, et, discrète, la signature du garde-forestier : la lettre H surmontée d'une feuille de châtaignier.

Décorés avec goût, les murs étaient peints d'une fresque qui représentait l'Histoire des Protecteurs. Colorée avec finesse, elle était frappante de réalisme. La jeune femme cligna d'ailleurs longuement des yeux, certaine de l'avoir vue bouger.

     - Je délire complètement... chuchota Ev en s'écartant.

Elle connaissait très bien les légendes qui entouraient les Protecteurs pour avoir appris à lire grâce à elles. Celles-ci racontaient qu'il y a des millénaires, le monde était fait d'un seul et même globe parcouru d'océans, des sortes de lacs géants. A l'époque, déjà, les dons étaient héréditaires et s'exprimaient différemment d'un individu à l'autre. Fruits d'une lignée créative, les jumeaux Ezelloth et Azlyth étaient l'exact opposé l'un de l'autre : le don du garçon avait subi une mutation génétique rare. Alors qu'elle créait et construisait tout ce qu'elle voulait, il détruisait et défaisait tout ce qu'il touchait. Très fusionnels, ils s'étaient toujours complétés, au point qu'Azlyth réparait chaque erreur commise par son frère.

Adulte, elle s'était mariée avec Siliero, un homme au don de protection. Ensemble, ils eurent six magnifiques enfants. Cependant, des années plus tard, le pouvoir d'Ezelloth le submergea totalement. Lorsqu'il ne put plus rien contrôler, il disparut dans une explosion gigantesque qui manqua de détruire la planète. Tandis que celle-ci volait en éclats, Azlyth et Siliero se sacrifièrent, aidés par les pouvoirs de leurs plus proches amis. Leurs deux dons, créatif et protecteur, parvinrent à arrêter l'onde de choc et à protéger tous les êtres vivants autour d'eux. Depuis, le monde n'était plus qu'un océan de continents suspendus, qui flottaient au gré des vents.

A l'emplacement où les amants s'étaient enlacés pour la dernière fois, leurs pierres de vies avaient fusionné pour former un cristal géant. Désormais, il se dressait fièrement vers les cieux. On avait plus tard construit toute la Capitale autour de lui. L'édifice était composé de pierre de lune et de pierre du soleil. Ainsi, les siècles passants, les survivants de la catastrophe et leurs descendants s'étaient mis à personnifier ces deux astres. Leurs symboles et leurs représentants. Il était devenu normal de s'adresser à eux comme aux légendaires Protecteurs pour les remercier et leur adresser des prières.

De ce que savait Evaëlle, il ne restait de la Terre plus que deux immenses continents, reliés entre eux par un pont en continuel agrandissement, qui palliait aux mouvements de ces géants.

Se détournant de la fresque, elle s'avança vers la commode sur laquelle étaient déposées une bassine d'eau et des serviettes. Au-dessus, un magnifique miroir au cadre aussi bleu que l'eau du lac lui refléta un visage affreux. Elle n'avait jamais vu de cernes aussi creusés et de peau aussi terne. Tout chez elle était pâle et sans substance.

Elle retira le ruban qui retenait son chignon et qu'elle n'avait pas pris la peine d'enlever pour dormir. Ses longs cheveux ondulés cascadèrent sur ses épaules dans un désordre des plus complet. Elle plongea ses mains dans la bassine et pencha la tête vers l'avant, très bas, pour secouer et discipliner ses mèches brunes.