Chapitre 30

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Le ciel, sans un nuage, contrastait complètement avec le brouillard qui bordait la clairière. Evaëlle ne parvenait pas à s'endormir, allongée sur le dos non loin de Cahya. Elle entendait la presque-sœur de Ric ronfler abondamment, et la jalousait presque. Si seulement elle avait été capable de s'endormir ainsi, aussi paisiblement, elle aussi. Mais il n'en était rien, et elle doutait que cela puisse arriver à nouveau.

Les images de la bataille lui revenaient sans cesse à l'esprit, et elle voyait flotter de grands geysers de sang autour d'elle, même les yeux ouverts. Elle tenta de se concentrer sur le ciel, rempli d'étoiles. La lune, bientôt à son apogée, laissait percevoir clairement tout ce qui les environnait. Elle rendait l'éclat des autres astres presque terne, à ses côtés. La jeune femme soupira en se redressant et constata que le reflet de la voute céleste dans les eaux plates de l'étang ne lui rendait pas entièrement justice.

Après qu'ils eurent mangé et se soient tous lavés et changés tour à tour, les trois jeunes gens avaient décidé de leurs tours de garde. Eldric avait voulu lui permettre de se reposer, elle le savait. Mais elle en était incapable. Elle regarda Cahya et remonta légèrement sa couverture pour qu'elle n'attrape pas froid. Elle avait beau l'avoir détestée, elle la trouvait désormais attachante. Elle n'osait pas imaginer ce qu'il serait advenu d'elle si la Souffleuse de Nuage n'avait pas été là pour leur prêter main forte.

Ev hésita un instant. Devait-elle se rallonger et persister à lutter pour s'endormir en fixant les branchages qui dansaient doucement au vent ? Impulsive, elle fit tout le contraire. Elle attrapa sa cape de voyage et la posa sur ses épaules. Siliero et les deux juments, qui broutaient nonchalamment les derniers brins d'herbe qui s'élevaient vers le ciel, dressèrent leurs oreilles dans sa direction. Ils venaient de remarquer qu'elle se déplaçait et veillaient au grain.

Ils n'avaient pas trop de soucis à se faire, car non-loin de là, Eldric fixait la jeune femme. Il se demandait où elle se rendait, et se surpris à esquisser un léger sourire quand elle se dirigea dans sa direction. Il ne parvint pas à décoller son regard d'elle, et espéra qu'il ne lui paraîtrait pas trop étrange. Lorsqu'Evaëlle arriva à sa hauteur, elle souffla doucement, intimidée :

— Si ça ne te gêne pas, je peux rester un moment avec toi ?

Le sourire plein d'empathie qu'il lui servit suffit à répondre à sa question.

— Tu n'arrives pas à dormir ?

Ev hocha la tête pour acquiescer. Sans s'en rendre compte, Eldric laissa divaguer son regard sur la coupure qui naissait dans le cou de son amie d'enfance. Il détourna les yeux ; se sentait profondément coupable. Evaëlle remarqua son mouvement de recul et attrapa spontanément sa main. Elle plongea ses iris émeraudes dans les siens tandis qu'elle déposait ses doigts le long de sa blessure, sans tressaillir.

— Ce n'est rien, tu vois ? Ne t'inquiète pas pour moi, Ric.

— C'est impossible, renchérit-il sans attendre.

Interdit, il marqua un arrêt. Le sillon sous ses doigts s'enfonçait lentement vers la poitrine d'Evaëlle. Il retira rapidement sa main, trop perturbé par l'impuissance qu'il avait ressentie. Lorsqu'il l'avait vue entre les mains du nabot, son sang n'avait fait qu'un tour. Aveuglé par la haine, il en avait perdu toute sa lucidité. Pour cette seule et unique raison, il avait laissé à l'homme l'opportunité d'agir et de la blesser. Rongé par la terrible impression d'avoir failli à son devoir, il se persuadait alors d'avoir été l'unique responsable de son état. Il revoyait en boucle les mains immondes du balafré sur Ev et le sourire satisfait qu'il arborait tout en la maltraitant. Il lutta pour ne plus laisser ces images le tourmenter. Au lieu de cela, il se concentra pour détailler la superbe jeune femme de toute sa hauteur. Cela ne ferait pas disparaître sa culpabilité. Seulement, elle était la seule chose à laquelle il devait porter attention. Elle et seulement elle. Car Ev ne se tenait plus, désormais, qu'à quelques centimètres de lui. Si proche qu'il sentait son souffle, chaud, faire doucement bouger sa chemise dans de petites volutes de buée.

Ondulys, Tome 1 - Les Souffleurs de Nuages [Terminé]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant