Chapitre 36

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— Eldric ! Ric ! RIC !

Affolée, Evaëlle hurlait dans l'espoir de voir bouger le Faucheur de Dons qui restait là, inerte, inanimé et impassible. Il ne l'entendait pas. Elle, ne parvenait plus à réfléchir rationnellement. Elle ne voyait pas qui se tenait derrière elle mais elle aurait juré sentir un don perfide irradier des mains qui enserraient ses bras. Ses omoplates, pliées à l'extrême, dégageaient une douleur vive près de sa colonne vertébrale. Elle tentait de tourner la tête, sans succès, pour comprendre ce qu'il se passait. Elle était complètement impuissante et l'inquiétude la rongeait concernant le jeune homme dont elle ne distinguait que le dos.

— Qui êtes-vous ?! cria-t-elle de plus belle dans l'espoir d'une réponse qui ne venait pas. Montrez-vous !

Elle tenta de se débattre et arracha des larmes de fureur à ses yeux en voyant qu'elle ne pouvait rien faire.

— Que nous voulez-vous ?! brailla-t-elle si fort qu'elle aurait pu en percer ses propres tympans.

Un rire mauvais résonna tout contre son oreille tandis qu'on lui attachait les mains avec ce qui lui semblait être une corde. Quand elles furent bien fixées l'une contre l'autre, on fit de même avec ses pieds, ne lui laissant aucune chance de salut.

— Bien, tonna une voix menaçante derrière elle. Vous êtes calmée, mademoiselle Leaves ?

Un homme se plaça devant elle et se régala de la détresse qui habitait son visage.

— Qui êtes-vous ?! s'époumonait Ev à nouveau. Qu'avez-vous fait à Ric ?!

— Oh, ne vous en faites pas, ma jolie. Eldric Liorn est bien plus costaud que ça, il survivra. Voyez-vous, il ne nous intéresse pas. Nous avons seulement besoin de vous.

L'homme, tout de blanc vêtu, portait une robe qui ressemblait à s'y méprendre à celle qu'elle avait déjà vue sur le corps du Frère Zéphyrin. Plus encore, il arborait la même mimique pleine de curiosité qu'elle avait déjà vue s'afficher sur le visage du vieux Sage. Pour finir, il portait les mêmes lunettes rondes qui grossissaient chez lui aussi ses yeux mordorés. Ils avaient décidément bien des choses en commun, si ce n'est que cet homme-ci n'avait strictement rien de rassurant ou d'agréable. Il était bien plus jeune, également. Quelques mèches de cheveux gris dépassaient bien des côtés de son crâne dégarni, mais ils n'étaient pas suffisants pour égaler la chevelure argent du Souffleur de Nuages.

Cet homme-ci respirait l'arrogance et la mauvaise prestance. La condescendance. Il se baissa vers Evaëlle et expira son haleine fétide dans sa direction tandis qu'il attrapait son menton entre le pouce et l'index, l'autre main présomptueusement cachée dans son dos. Ev voulut détourner la tête mais n'y parvenant pas, elle se contenta de dévier son regard. Elle le fixa sur son aimé, se concentra sur lui. Elle suppliait intérieurement pour qu'il se réveille et la libère de ce mauvais rêve. Mais il ne bougeait pas ; Il ne bougeait plus. Et face à elle, un être détestable la dévisageait. D'un air fier et dégoûtant.. Dégoulinant de malveillance. Exécrable.

— Pourquoi auriez-vous besoin de moi ? finit-elle par cracher à son visage en rivant un regard noir sur l'homme.

— Je suis Archibald Boroth, Cinquième Maîtres des Légendes, ma chère, se présenta l'immonde personnage. Et vous êtes la seule et unique raison de mon existence.

— Vous êtes un fou, voilà ce que vous êtes ! grogna la jeune femme en tentant de se débattre de plus belle.

Elle grimaça de douleur avant de calmer sa voix pour la rendre tranchante :

— J'exige que vous me libériez ! tenta-t-elle au souvenir du respect que lui avait servi Oughil Liorn, un instant plus tôt.

L'un des hommes les plus redoutés du monde, à en croire la déférence que l'on sert toujours à Eldric lui-même. Les Faucheurs de Dons, bien qu'elle ignorait complètement leur existence avant de rencontrer le jeune homme — ou plutôt, bien qu'elle eut oublié tout de leur existence avant de le rencontrer à nouveau — , semblaient être aux yeux de tous des envoyés divins. Quand elle y repensait, Evaëlle s'avisait que personne n'ignorait l'hommage qu'il se devait de rendre à son compagnon. Personne, sauf peut-être elle.

Ondulys, Tome 1 - Les Souffleurs de Nuages [Terminé]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant