Chapitre 40

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Evaëlle avait le cœur qui battait bien trop vite. Beaucoup trop vite. Il pulsait d'un mélange d'excitation et de défaillance. Déficience. Elle avait peur. Peur de ne jamais revoir Eldric. Peur d'être enfermée à tout jamais dans les hautes tours de ce Palais dont elle s'approchait immanquablement. De ces tours terrifiantes. Ses yeux ne s'en détachaient pas. Ni d'elles, ni des étranges symboles qu'elle tentait irrémédiablement de déchiffrer dans le ciel, sans succès. Elle tapota sur l'épaule du Général Robnur pour engager de nouveau la conversation.

— C'est quoi, ces symboles ?

— De quels symboles parlez-vous, votre Ma...

— Evaëlle ! Appelez-moi Evaëlle ou j'attrape le couteau accroché à votre cuissarde et vous coupe la langue avec.

Son ton ne manqua pas de faire blêmir le soldat.

— Excusez-moi, pouffa-t-elle, méprisante. Mais, est-il vraiment normal qu'un soldat de votre envergure, un général, soit aussi facilement impressionnable que vous ?

— C'est-à-dire que... Je ne...

— Soit, l'interrompait-elle. En toute honnêteté, vos excuses ne m'intéressent pas, et votre attitude m'arrange. Regardez-donc les nuages au-dessus du palais, concentrez-vous !

Evaëlle jouait la carte de l'autorité. Une autorité qu'elle ne se connaissait pas, mais qu'elle comptait bien emprunter à l'homme qu'elle aimait, le temps de trouver sa place dans ce nouveau rôle.

— Je ne vois rien... Ev-vaëlle... avoua-t-il, penaud. Il n'y a pas un nuage dans le ciel. Ils se trouvent tous dans la faille...

Evaëlle fronça les sourcils. Était-ce une lubie de son imagination, ou une vision causée par son don ? Elle se raccrocha à cette deuxième idée. C'était un signe. Cela ne pouvait rien être de plus. Elle espéra qu'il s'agissait de Cahya. Elle n'aurait jamais juré être contente de penser à elle, mais elle était profondément heureuse à l'idée que la Souffleuse de Nuages puisse lui venir en aide. Elle se raccrocha à cet espoir. Cahya lui envoyait un signe : celui de l'arrivée prochaine du Faucheur de Dons, et avec du renfort, de surcroît. Son renfort. Ev en était soulagée, car elle avait eu l'occasion de voir la jeune femme à la peau mate à l'œuvre et savait qu'il lui restait beaucoup de choses à découvrir sur sa puissance. Son cœur s'apaisa un instant.

Bientôt, la calèche arriva au plus proche du précipice. Une petite tour à porte cochère s'ouvrait sur un pont immense mais peu large, dont les rebords n'étaient pas assez hauts pour ne pas en tomber. La jeune femme trouva cela curieux, mais ne releva pas. L'attelage s'arrêta. Il était temps, car les chevaux n'en pouvaient plus. Ils tiraient sur la corde depuis des heures, sous les coups de fouet presque incessants du général Robnur. Evaëlle en avait la nausée. Le contraste avec la douceur qui émanait d'Eldric à chaque fois qu'il manipulait ces animaux était saisissant. Déchirant. Elle ne pouvait pas imaginer que l'on maltraite ces fières montures de la sorte, alors qu'elles prouvaient volontiers leur abnégation pour peu qu'on leur laisse le choix.

En descendant, elle s'arrêta un instant entre les deux chevaux pour leur donner une caresse et les récompenser de la voix, dans un murmure qu'elle ne laissa pas porter jusqu'aux oreilles des soldats qui l'entouraient, et surtout pas à celles du Maître des Légendes.

— Je suis désolée que vous ayez eu à subir tout cela, mes amis. Restez forts et courageux... Merci.

Archibald Boroth semblait contrarié lorsqu'il posa pied à terre. Il s'approcha de la jeune femme et la foudroya du regard.

— Que cet éclat ne recommence pas, tonna-t-il. Vous apprendrez vite à rester à votre place, croyez-moi.

— Je ne vois pas de quoi vous parlez.

Ondulys, Tome 1 - Les Souffleurs de Nuages [Terminé]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant