Chapitre 45

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Les Dix Maîtres des Légendes se regardèrent en biais. Leur Palais Astral, recouvert d'une épaisse couche de neige, était souillé par leurs vices et empreint de leur intempérance. Ils se savaient supérieurs en tout point, même si la situation leur avait un brin échappée. Peu importait, finalement. Ils avaient eu la réponse à leurs années de questionnements. Ils savaient, désormais, à qui revenait vraiment le pouvoir des Protecteurs. Ils savaient qui serait la victime de leurs desseins, qui devrait suivre leurs instructions pour que le monde, à jamais, reste ce qu'il était. Alors, en combattant de leurs forces invisibles le rideau de bourrasques qui les clouait aux dossiers de leurs sièges, ils se levèrent comme un seul homme, tandis qu'Evaëlle Leaves et son naïf Faucheur de Dons s'approchaient d'eux.

Alors qu'il arrivait à sa hauteur, Eldric marqua un arrêt à quelques pas du Général Robnur. Alors, fin calculateur, il dégaina son épée et frappa d'un coup sec le crâne du soldat avec le plat de sa lame. Celui-ci vacilla un court instant puis s'écroula, inconscient, la tête la première contre dans la poudreuse rougeâtre qui maculait les dalles du Palais Astral. Satisfait, il entraîna son aimée vers la grande estrade.

— Bien, ces petits jeux sont terminés, passons aux choses sérieuses, déclama Archibald Boroth avec un rictus malsain.

Ce même rictus qu'Evaëlle exécrait au plus haut point. Ses doigts se crispèrent dans la main d'Eldric et elle s'attela à contenir sa rage par sa seule et unique présence à ses côtés. Elle devait lui faire confiance. Elle se préoccuperait du reste après. De tous les souvenirs qui remontaient au goutte à goutte mais qui cherchaient à emplir tous ses sens et à la submerger de vagues incontrôlables et incontrôlées. Elle isola son mental quelque part entre sa fierté et son courage. Mais ces deux là lui serviraient dès à présent.

— Maître Boroth, puis-je jouer avec votre bras comme vous venez de jouer avec celui de mon frère ? articula-t-elle avec une assurance certaine.

Le vieillard plissa du nez. Si les mots pouvaient trancher, son propre bras serait déjà tombé depuis les premières syllabes prononcées par l'Héritière Légitime. Son visage assombri par ses peintures sanglantes lui donnait des airs d'une déesse de la Mort. Celle-ci n'existait pas, mais Evaëlle serait parfaite candidate... Elle brillait d'une aura irréelle. Une aura qui passait du sombre au lumineux dans un nuancier tempétueux. Une aura froide, glaciale, qui grandissait à mesure que les secondes passaient. Ses yeux verts étaient désormais presque aussi noirs que ceux de son compagnon et oscillaient de gauche à droite comme si elle avait voulu découper en rondelles le Maître des Légendes qui se tenait droit devant elle, en commençant par le sommet de son crâne dégarni, pour finir par ses pieds tordus.

Aussi tordus que lui.

Evaëlle savait qu'un sentiment de désespoir aurait dû la ronger. Qu'une peine incommensurable aurait dû la plonger dans un état de tristesse incroyable. Mais il n'en était rien. Elle avait accumulé, accueilli tant d'horreurs au plus profond d'elle-même qu'elle n'en était plus capable. Elle s'en nourrissait. La vision d'Elila, d'abord, mais surtout celle de Marc se heurtait à sa lucidité et gonflait les voiles de sa colère. Et si elle était sûre de ne pas vouloir interférer avec les plans de son aimé, elle comprenait aussi que son corps tout entier se raidissait d'une envie étouffante. L'envie de leur sauter à la gorge, de les étriper, de les vider de leur sang. Peut-être devrait-elle les pousser, eux aussi, contre les cristaux des Protecteurs ?

— Non, souffla-t-elle à voix haute. Ce serait une insulte pour Azlyth et Siliero...

— La seule insulte ici, c'est vous, coupa un homme bien trop grand et trop maigre, tout à droite de la rangée des Maîtres.

Ondulys, Tome 1 - Les Souffleurs de Nuages [Terminé]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant