Nightbloods

XXI.

Clarke se réveilla, les bras vides. Son regard se porta tout autour d'elle, et de nombreux corps gisaient sur le sol, ou commençaient à remuer entre deux glapissements d'étonnement ou de souffrance. Elle ignora la lourdeur de ses membres - depuis combien de temps ne les avait-elle pas utilisés ? des semaines ? des mois ? des années ? - et slaloma entre les corps, le cœur battant à tout rompre, comme si elle se trouvait sur un véritable champ de bataille, et que chaque pas, chaque seconde comptait.

— Madie ? s'écria-t-elle avec espoir, à la vue d'une petite silhouette recouverte de boue.

Elle se laissa tomber sur le sol et prit dans ses bras l'enfant dont le visage était recouvert de boue, et l'en nettoya d'un vigoureux geste de la manche. Deux grands yeux marron et étonnés s'ouvrirent, et le cœur de Clarke manqua un battement. Le petit garçon se dégagea de son étreinte et se releva pour courir dans les bras de son père, qui venait de se réveiller, lui aussi, quelques mètres plus loin.

À genoux, elle hurla le nom de sa fille, jusqu'à ce qu'elle n'ait plus la force de le crier. Elle ignora les bras qui l'entouraient, les chuchotements qui lui imploraient de se calmer, les baisers de sa propre mère sur son front.

Elle sentit la morsure d'une seringue dans son cou, le sol tanguer dangereusement, et le ciel s'écrouler.

Un monde sans Madie.

⁂

Abby caressa les cheveux de Clarke trempés de sueurs et embourbés par la boue, tandis qu'elle répétait inlassablement des mots dans son sommeil qu'elle ne parvenait pas à comprendre. Elle ne tarderait pas à se réveiller, et elle tenait à être présente à ce moment-là. 

Pendant huit ans, Abby avait oublié l'existence de sa fille. Huit ans sans peine. Huit ans sans souffrance. Mais aussi huit ans sans Clarke.

Et le rêve s'était arrêté du jour au lendemain, lui laissant un drôle de goût amer dans la bouche. Ses derniers souvenirs remontaient à son séjour éprouvant à Polis, où elle avait été envoyée en prison par la commandante, avant que celle-ci, prise d'une odieuse folie, l'avait contrainte par la force à avaler une puce électronique. 

Son cœur de mère s'était déchiré lorsqu'elle avait retrouvé son enfant brisé sur le sol et depuis elle ne parvenait pas à quitter l'infirmerie. Tout comme ses amis, qui patientaient calmement dans la salle d'attente. Ils n'avaient pas d'explication à lui donner. Si ce n'est qu'elle avait hurlé un nom, toujours le même : "Madie". 

Enfin, le corps de Clarke commença à remuer, et Abby lui murmura des mots pleins de douceur, déposant des baisers sur le front de sa fille, sans prêter attention à sa saleté. 

— Maman...? s'étonna celle-ci, en clignant des yeux, tout en se relevant à moitié. C'est toi ? C'est vraiment toi ?

— C'est vraiment moi, ma chérie, lui répondit-elle avec émotion, tout en la serrant contre elle.

Clarke savoura ce moment en sanglotant sur son épaule le plus longtemps qu'elle le pouvait. Jusqu'à ce que les images lui reviennent en tête. Elle, qui tenait le flingue. Madie, qui hurlait. Lexa, qui abaissait le levier. Le bruit de la déflagration.

 Lexa avait réussi à détruire la Cité des Lumières. 

Et Clarke avait peut-être réussi à tuer Lexa, songeait-elle avec horreur.

Elle se déroba de l'étreinte pour regarder sa mère droit dans les yeux :

— Je crois... Je crois que j'ai fait quelque chose d'abominable, maman. Quelque chose... dont je ne me remettrai jamais.