Chapitre trois

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Je suis assise à califourchon sur une des plus hautes branches de ma maison. Je peux voir tout notre territoire d'ici et je peux même voir les portes des Terres. C'est fascinant comme c'est... AAAAAAAAAAAH !

-Tay mais qu'est-ce que tu fais ?!

-Désolée frangine, je n'avais pas vu que tu étais là.

-C'est chez moi ici, il est normal que je traîne dans les environs !

-Ça va, reste cool. Pas la peine de s'énerver, je secouais juste un peu l'arbre pour que Pouf accepte de descendre.

-C'est ça juste un peu et moi je... Pouf ?

-Oui, Pouf. Tiens le voilà ! Ah tu en as mis du temps. Regarde dans quel pétrin tu m'as fourré.

Je fis volte face juste à temps pour voir un écureuil au pelage vert faisant environ trois fois ma taille déployer de grandes ailes dorées et planer en chute libre dans notre direction. Je m'écartai, pressentant l'atterrissage express de l'animal. Il y eut un POUF et Pouf se posa à côté de nous. Je le regardai de plus près. Il avait de grands yeux noirs et son museau brun remuait rapidement comme s'il reniflait l'air. De grandes rayures cuivrées entouraient son long cou et ses oreilles, qui me semblaient plus longues qu'elles n'auraient dû l'être, pendaient légèrement.

-Ly, je te présente Pouf, mon écureuil domestique.

-C'est une blague ? Fis-je, subjuguée par la taille impressionnante de la bête.

-Non, pourquoi ? Il m'est très utile. Je peux m'agripper à son dos et traverser la forêt en moins de temps qu'il ne t'en faut pour rejoindre le creux de ton arbre.

-Ah oui ? Prouve-le.

Mon frère afficha un sourire taquin et me prit si vite le bras que je n'eus pas le temps de riposter. Il me fit monter derrière lui sur le dos de Pouf et donna deux coups de talon sur les côtes de l'écureuil. Celui-ci poussa un petit cri vif et déploya à nouveau son impressionnante paire d'ailes scintillantes. Il y eut un coup de vent et nous nous envolâmes très loin de la vallée. Nous allions à vive allure, je préférais fermer les yeux. Tay, lui, criait si fort que je m'en bouchais presque les oreilles, mais mes mains devaient rester attachées à lui sinon je risquais de tomber. Nous prîmes un virage serré entre deux troncs d'épicéas et nous nous retrouvâmes en haut d'une colline. Tay me prit la main pour m'aider à descendre. J'avais une envie folle de le gifler pour cette ballade dangereuse mais je réprimai mon geste. Je le pris dans mes bras et nous rîmes en cœur.

Pouf s'allongea dans l'herbe fraîche tandis que nous savourions tous les deux ce moment de complicité sur une montagne que je croyais infranchissable. Tay, mon frère, me ressemblait trait pour trait excepté que ses yeux avaient une teinte noisette. Il était vêtu de son habituelle armure en argile qu'il avait confectionnée lui-même. Pour ma part, je portais une robe que j'avais cousue en assemblant plusieurs pétales de marguerite. Nous ne portions pas de chaussures, préférant garder nos pieds au contact du sol que nous foulions toute la journée. Je jetai un œil à Pouf qui se déshydratait au bord d'un cours d'eau. Sa langue léchait lentement la surface. J'arrachai un brin d'herbe et m'en servit pour coiffer mes cheveux en un chignon. J'avais toujours détesté avoir des mèches devant les yeux.

-Il faut qu'on rentre. Dis-je

-Déjà ? Mais pourquoi ?

Je n'avais pas pris le temps d'élaborer un mensonge qui paraîtrait plausible. Expliquer à Tay la véritable raison de mon envie de rentrer chez moi me semblait impossible. Il ne comprendrait pas. Fort heureusement pour moi, le ciel, ou plutôt le peuple des Nuages, était à l'écoute. On entendit soudain d'assourdissants grondements et le tonnerre éclata tandis que de grosses goutes de pluie tombèrent les unes après les autres.

-Pour ça, par exemple !

Tay me prit la main et m'entraîna à l'abri, sous un grand champignon. Je cherchai Pouf des yeux puis je le vis qui s'envolait pour se réfugier à l'intérieur d'un rondin.

-Ah bravo ! Nous sommes loin du campement maintenant et tout ça c'est de ta faute ! Comment allons-nous rentrer avec cette averse, tu peux me le dire ? M'emportai-je

-Je suis désolé, Ly. On pourrait essayer d'y aller à pieds ?

-Mais le village est à des mètres d'ici !

Nos regards rencontrèrent la même chose, au même moment. Sous notre espèce de préau naturel se trouvaient un amoncellement d'objets en tout genre. Des tas de bricoles que les humains auraient trouvé sans intérêt mais qui pour nous représentaient notre dernière chance de salut, si nous ne voulions pas passer la nuit ici. Autour de nous, la plaine s'assombrissait comme si toute la lumière du monde disparaissait peu à peu et le martellement de l'eau faisait un bruit épouvantable et incessant. Sans dire un mot de plus, nous nous mîmes tous deux à fouiller dans tout ce bric à brac, à la recherche d'un je-ne-sais-quoi qui pourrait nous sortir de ce mauvais pas. Nous trouvâmes un morceau de bois lisse et poli, quatre pièces de monnaie en bronze et deux baguettes chinoises. En un tour de main, nous avions assemblé le tout pour en faire une plate-forme roulante.

-Il ne nous reste plus qu'à la tester ! S'enthousiasma mon frère cadet, trop heureux de pouvoir essayer un véhicule de notre invention.

-Tu es sûr que ça fonctionnera ? Le tout me semble un peu fragile...

-Il n'y a qu'un seul moyen de le savoir ! S'écria-t-il en déplaçant le caillou qui servait de cale.

Notre « voiture » se mit alors en marche et dévalant la pente à une vitesse ahurissante. Je me cramponnai à la planche et Tay s'agrippa à ma jupe. Il était secoué de rires de la tête aux pieds. Apparemment, la peur ne lui tiraillait pas le ventre comme à moi, qui criait de panique. La face de la colline que nous dévalions plongeait dans le vide, vertigineuse. J'aurais voulu qu'on me cache la vue mais je ne pouvais pas me plaquer les mains sur les yeux et il fallait que je garde un œil sur la route, histoire que nous ne rentrions pas dans un tronc d'arbre. Enfin, le calvaire prit fin lorsque les roues s'immobilisèrent après un ralentissement et que notre skate-board atterrit au beau milieu de la place du village, entourée de grands arbres. Je descendis prudemment, craignant que la machine infernale ne redémarre sur le champ. Mon frère sauta au sol, hilare. J'époussetai ma robe, tâchée de boue et de feuilles mortes.

-C'était génial non ?! S'exclama Tay entre deux hoquets.

-Génial ? Ce n'est pas le mot que j'emploierais ! On a failli mourir écrasés !

-Ne dis pas de bêtises ! En plus, on s'en est sortis indemnes ! Allez, fais pas ta chochotte ! Si on allait prendre un verre pour fêter ça ?

-Ce sera sans moi. La « chochotte » est épuisée. On se voit plus tard. Grognai-je, exaspérée par son manque de maturité

Les Frontières (TERMINE)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant