Je passai le reste de la journée à me tourmenter et à craindre que la guerre n’éclate en dépit de mes efforts. Fort heureusement, celle-ci n’eut pas lieu et j’appris le matin suivant, à l’heure où l’attaque aurait dû débuter, qu’Hannah avait suivi mes conseils. Je rayonnais de bonheur à présent, convaincue que la paix durerait éternellement entre les races. J’étais certaine que Sho ne m’en voudrait pas d’avoir révélé le secret à mon maître et qu’elle comprendrait mon choix. Sho avait beau être téméraire et dure parfois, elle n’en restait cependant pas moins tolérante et à l’écoute. C’est justement cette facette de sa personnalité que j’admirais plus particulièrement que le reste. Retournée à mon atelier dans le creux de mon arbre, un marronnier de 30 mètres de haut maintenant, je travaillais sérieusement sur mon télescope mais je ne pouvais m’empêcher de me lamenter sur ce fer à cheval qui me causait bien des ennuis.
Soudain, une musique retentit dans la vallée et je reconnus sans peine la mélodie féérique que j’avais surprise hier tard dans la nuit avant de m’assoupir. Sans plus attendre, je me glissai dehors et me dirigeai vers la source d’où semblaient provenir les notes. L’origine de la chanson paraissait se trouver au cœur de la forêt. Je poussai fort sur mes jambes pour accélérer, des bourrasques de vent me fouettant violemment le visage, mes cheveux faisant la course dans mon dos. Enfin, j’arrivai à l’endroit d’où la musique s’échappait. Je me trouvais à présent dans une immense clairière dans les sous-bois, entourée de sapins aussi grands que les montagnes qui caressaient l’horizon.
Un lac d’une superficie impressionnante s’étendait de long en large. Seule, un peu perdue, je contemplai la surface de l’eau qui miroitait au soleil. Ca m’avait l’air très profond et je n’osais pas plonger, de peur de ne savoir remonter à l’air libre. Après tout, je n’avais jamais nagé de ma vie, comme beaucoup de mes semblables d’ailleurs. Mais la mélodie continua de m’envouter et je ne pouvais pas m’enfuir, comme si mes pieds étaient collés au sol. Alors je sautai dans l’onde bleue en prenant une grande inspiration. Je me sentis tomber dans un liquide chaud et agréable. Autour de moi, il y avait de magnifiques plantes aquatiques et des poissons de toutes les couleurs mais sous mes pieds, encore plus fabuleux, se dressait la plus fantastique bâtisse que j’ai jamais vue.
C’était un palais, tout d’or, d’argent et de coquillages. Il avait fière allure avec ses tours torsadées et ses donjons à toit pointu. Un pont levis gigantesque barrait l’entrée. D’étranges créatures sortaient des fenêtres et tournoyaient devant moi avec allégresse. L’une d’elle passa si près de moi que je pus l’observer bien attentivement. Son corps était identique au mien sauf sa peau, ses pieds et son cou. Sa peau était d’une légère teinte bleu-gris, ses pieds étaient plus grands et ses orteils, palmés. Quant à son cou, il était barré de branchies. Ses cheveux et ses yeux étaient respectivement roux et dorés. Je compris tout de suite ce qui m’arrivait. Je venais de découvrir l’existence d’une nouvelle race : Les Eaux !
Ainsi donc, sous la surface, il n’y avait pas que les Terres. Il y avait également ces êtres marins extraordinaires ! J’aurais voulu leur parler, leur adresser un mot mais dès que j’ouvrais la bouche, il n’en sortait rien d’autre qu’une bulle d’air. Je commençais à suffoquer. Il me fallait reprendre ma respiration. Vite, je battis des jambes et remontai à la surface. J’inspirai profondément et me délectai des légers picotements que les rayons du soleil faisaient sur la peau de mon visage humide. Et je replongeai déjà, avide d’en savoir plus sur cette civilisation nouvelle qui s’ouvrait à moi.
Les habitants de ce monde sous-marin ne semblaient pas avoir remarqué ma présence. Il leur paraissait normal qu’un être des Arbres se ballade sous l’eau à leur côté. Je préférais ne pas imaginer ce qu’il adviendrait de ma petite personne s’ils se rendaient compte de mon apparition sur leurs terres. C’était si beau ici. Tout étincelait. Tout resplendissait de pureté et de raffinement. Je n’en revenais pas de tout ce que j’avais manqué en ignorant leur existence. Je me pris à vouloir être l’un d’entre eux. Après tout, leur vie semblait idyllique ! Au moins, cachés aux yeux de tous, ils pouvaient échapper aux guerres, aux fléaux de notre race, aux ravages des saisons. Ils étaient protégés par cette atmosphère calme et tendre qui les englobait.
Ils n’avaient aucune difficulté pour respirer sous l’eau apparemment car je ne vis aucun d’entre eux nager précipitamment vers le haut. Ils continuaient de se déplacer avec grâce dans les profonds abysses que je distinguai loin au dessous de moi. J’ai tout de suite pensé qu’il devait s’agir de sortes de quartiers, de rues où s’alignaient probablement les habitations des Eaux. J’aurais voulu en être sûre mais je savais que je ne tiendrais pas suffisamment de temps sous l’eau sans oxygène pour m’aventurer aussi loin. Il fallait absolument que je raconte ce que je venais de voir aux miens, que je leur parle de cette race dont nous ignorions tout, que je leur fasse voir avec mes yeux ce village éblouissant où ils vivaient.
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Les Frontières (TERMINE)
RandomUn univers unique, hors du temps, dont la société est divisée en trois clans : les Arbres, les Nuages et les Terres. Ly, une jeune fille Arbre, cherche à trouver sa place dans ce monde qui lui paraît tellement limité. Prisonnière d'une communauté et...