Les Frontières (TERMINE)

Chapitre vingt-sept : FIN du premier tome

Tori et moi arrivons dans la grande salle. Hannah est présent, assis sur son trône majestueux. Son fidèle et sombre conseiller est à son côté, lui chuchochant quelque chose. Peut-être l'a-t-il informé de notre entrée à mon père et moi car il lève les yeux vers nous. Il sourit à peine mais il ne s'agit pas d'un sourire accueillant, rassurant. C'est un sourire étrange, un sourire que je ne lui avais jamais vu : un sourire de carnassier. J'ai l'impression d'être une proie en danger, une proie que l'on guette. Il va me sauter à la gorge. Je porte la main à mon cou, comme pour vérifier que je l'ai encore.

-Ly. Ravi de te voir. Tu n'imagines pas à quel point.

Je hoche la tête, tremblant de la tête aux pieds.

-Sais-tu, Ly, pourquoi je t'ai fait venir ici ?

Je fais signe que non.

-Ah bon ? Tu n'en as pas la moindre idée ? Pas même une toute petite idée ? Fait-il d'un ton doucereux.

Son regard se fait inquisiteur. Son sourire se dissipe, remplacé par une moue dubitative.

-Non, monsieur. Vraiment pas.

-Permets-moi de t'éclairer alors.

Il se lève tout d'un coup et marche à pas mesurés vers moi. Lorsqu'il s'arrête enfin, nous sommes à un cheveu l'un de l'autre. J'en ai le souffle coupé. Puis il m'annonce, tout bas :

-Je connais ton petit secret.

Mon sang ne fait qu'un tour. Il sait. Il a toujours su. Et je vais en payer le prix.

-Je sais que tu as hébergé un intrus sur nos terres. Je sais à quel domaine il appartient. Et je sais depuis toujours que les Eaux existent en ce monde.

Mon coeur s'arrête. J'ai le sentiment que je vais m'écrouler sur le sol. Il est au courant ? Depuis le début ? Les Arbres, les Nuages et les Terre savent la vérité ? Les Eaux sont connus ? Et ils les ignorent volontairement ? Je manque de m'étrangler.

-Surprise, n'est-ce pas ?

Il se penche à mon oreille pour me murmurer quelque chose :

-J'ai renvoyé ton ami chez les siens. J'espère que tu ne m'en veux pas ?

-Co...Comment avez-vous pu ? Je bégaie.

Il s'écarte soudainement.

-J'aimerais bien te retourner la question, très chère Ly. Mais je ne suis pas aussi grossier. 

-Ils vont le tuer !

-Je connais sa réputation et les sanctions qui lui sont promises. Seulement vois-tu, son sort ne me concerne pas. Mon peuple a besoin de moi. Je ne peux me permettre d'accorder du temps et de l'énergie à quelqu'un qui n'appartient pas à notre communauté.

-Je croyais que vous étiez quelqu'un de bien !

-Ly ! Intervient mon père, me pressant le bras.

Je me dégage de son emprise et continue sur ma lancée. Je ne peux empêcher le flot de mes paroles. Je n'en ai pas non plus l'envie. Les larmes m'inondent le visage. Je vois trouble. Je suis à deux doigts de m'évanouir mais il me reste suffisamment de force pour m'écrier :

-Je le retrouverai. Et je le ramènerai. Ne comptez pas sur moi pour être la gentille petite fille sage et obéissante que j'ai toujours été. C'en est fini.

Après, le sol se dérobe sous mes pieds.

La tête me tourne affreusement. J'ai le vertige. Mes paupières sont lourdes lorsque je me réveille. Je suis dans la chambre que j'occupais lorsque je vivais encore chez mes parents. Je reconnais l'omniprésence de la couleur rose partout dans la pièce. Mon père est à mon chevet, l'air troublé. J'essaie de me redresser un peu mais éprouve une douleur lancinante à la poitrine :

-Aïe !

-Rendors-toi ma chérie. Il faut que tu te reposes.

-Je ne veux pas dormir. Je ne veux pas me reposer. Je veux sortir d'ici. Pourquoi est-ce que je suis là ? Ramène-moi chez moi.

-Tu es trop faible.

J'essaie de m'extirper des draps mais Tori me pousse doucement. 

-Ca suffit Ly. Ton entêtement nous a causé assez de problèmes.

-Des "problèmes" ? Quels problèmes ? Tu n'en as aucun toi ! Cédric risque la mort !

-Tu n'as jamais mentionné ce garçon. Qu'en dit Mathias ?

L'évocation de mon meilleur ami achève de me briser.

-Il n'a rien à voir avec ça. Et toi non plus.

-Je suis ton père. Tout ce qui te concerne me concerne également. Je ne veux que ton bonheur. Et tu te mets en danger en contestant sans cesse l'autorité. 

Je me tais un instant, mes neurones tournant à plein régime.

-Comment ça se fait que Hannah soit au courant ? Tu ne savais rien toi.

-...

-Papa ?

-Un de tes amis. 

Je ne songe qu'à une personne : Mathias. Il m'a trahie. Je m'effondre, une fois de plus.