Les Frontières (TERMINE)

Chapitre vingt-six

Les jours passèrent, s'enfilèrent telles des perles à un collier. Je n'ai pas rendu visite à Cédric depuis la dernière fois. Ce n'est pas que l'envie me manque mais je me sens tellement coupable pour la douleur que j'ai pu causer à Mathias que je n'ose le revoir tout de suite. J'espère qu'il comprend. Je suis un peu partie comme une voleuse lorsque j'ai couru après Mathias mais je n'avais pas le choix : une amitié était en jeu. Et je l'avais perdue au tapis.

Je suis chez moi. Il bruine légèrement dehors. La pluie ruisselle sur les branches de mon marronnier. Sho et Sue sont venues s'assurer ce matin que j'allais bien. Je leur ai répondu que oui mais tout se mélange dans ma tête. Elles m'ont également posé des questions sur ce qu'était Cédric et sur l'univers si particulier auquel il appartenait. J'ai tenté de leur expliquer le plus clairement possible. Elles semblaient très étonnées de la réalité de Cédric. Je dois admettre que moi aussi, malgré tout le temps que j'avais déjà pu passer à ses côtés, j'avais du mal à croire qu'un tel être puisse exister. Il était tout simplement extraordinaire. Plus difficile encore à croire ? Qu'il puisse être amoureux de moi. 

J'avais essayé de prendre contact avec Mathias depuis notre altercation. Deux semaines s'étaient écoulées depuis. A l'école, je le voyais encore mais de loin. Il faisait tout ce qu'il pouvait pour éviter d'avoir à croiser mon regard, ne serait-ce qu'une seule seconde. Force était de constater qu'il réussissait à merveille. Lui qui avait l'habitude de venir me saluer tous les matins d'une bise sur la tempe, voilà qu'il m'ignorait parfaitement. J'avais l'impression de n'être rien pour lui. S'il désirait me faire souffrir, c'était un succès. Sho et Sue paraissaient désarmées elles aussi face à cette situation cependant elles m'en parlaient très peu. J'imagine qu'elles se doutaient que je préférerais changer de sujet si elles le mentionnaient.

Pour aller mieux, je me réconfortais en songeant à Cédric, à sa peau couleur d'un ciel d'été. A ses mots qui me faisaient l'effet d'une caresse. Il me tardait de le retrouver. Alors que j'étais en train de rêvasser à son propos, mon père Tori fit irruption dans la pièce. J'étais allongée sur le lit où Cédric s'était lui-même reposé quelques semaines plus tôt. Je me redressai :

-Papa ? Que se passe-t-il ?

Je posai cette question car je remarquai à l'expression de son visage que quelque chose clochait. Il avait l'air soucieux. Bien sûr, j'aurais pu penser que sa gêne était dûe à la gifle qu'il m'avait donnée et au soudain froid glacial qui s'était imposé dans notre famille depuis. Tay lui reprochait ce geste incontrôlé également. Pourtant, une intuition me murmurait à l'oreille qu'il n'était pas là pour excuser son comportement. Il me le confirma sans détour :

-Hannah a demandé à te voir. 

-Hannah veut me voir ? Fis-je, interloquée.

-Il a dit que c'était assez urgent. Suis-moi ma puce.

Son "ma puce" hérissa les poils de mes avant-bras. Je ne relevai pas et me mis debout. L'angoisse remontait dans ma gorge. Je peinais à respirer.