Les Frontières (TERMINE)

Chapitre dix-huit

Je prétextais que je me sentais exténuée afin que Mathias renonce à me suivre jusque chez moi. Enfin seule. Il faisait frais ce soir-là. Des volutes de fumée blanche semblaient s'échapper de mes lèvres entrouvertes. Je me sentais démunie, seule dans le noir et le froid. Je ne savais plus à quel saint me vouer et encore moins quoi faire. J'avais besoin d'un signe. A l'instant-même où j'avais prié pour un indice, les Nuages décidèrent de faire tomber une pluie d'étoiles filantes. Le voile opaque qui obscurcissait le ciel se dissipa pour laisser place à la lumière ténue mais éternelle des étoiles. Ma première pensée fut pour le fugitif, le criminel en cavale que j'abritais. J'aurais voulu partager ce moment magique en sa compagnie. Peut-être était-il encore temps. Je le rejoignis le plus vite que je pus.

Il ne dormait pas. Ses prunelles d'or fixaient le plafond de bois. Ses mains reposaient sur le pansement dont j'avais recouvert sa blessure. Ses doigts étaient entremêlés. Il avait l'air songeur.

-Eh ! Viens voir. Il se passe quelque chose de magnifique dehors.

Il prit conscience que j'étais là et je l'aidai à se mettre debout. Il s'appuya sur moi le temps que nous allions jusqu'à l'entrée de ma maison. Nous nous sommes assis côte à côte. Nous nous touchions presque. Quelques centimètres à peine nous tenaient à distance l'un de l'autre. Le menton relevé vers le ciel, Cédric m'apparut plus beau que jamais. Pour sûr, il n'appartenait pas à ce monde. Il était d'ailleurs.

-Tu... Tu as dit que je ne te connaissais pas l'autre jour.

-Et ?

-Et j'aimerais en savoir plus sur toi. J'aimerais te connaître davantage. Après tout, tu dors bien dans mon lit.

Il s'esclaffa. Moi aussi. Il se reprit :

-D'accord. Et qu'est-ce que tu voudrais savoir ?

-Qui tu es, d'où tu viens, comment est ta famille...

-Je n'ai pas de famille. Mes parents sont morts. Je ne les ai jamais connus. Je suis orphelin. J'ai appris à me débrouiller seul. Mais ce n'est pas drôle.

-De quoi ?

-De se débrouiller seul.

Sans réfléchir, je lui pris la main. J'ai serré sa paume glacée entre mes doigts. Je pressais si fort que c'en était presque douloureux. Il ne la retira pas. Je sentis son pouce décrire des cercles réguliers sur ma peau.

-Tu n'es plus seul. C'est terminé.

Il acquiesça l'air soucieux et jusqu'au petit jour, je l'écoutais me parler de sa vie avant moi. Avant notre rencontre. Je l'écoutais me parler de son enfance désastreuse, de ses mauvaises fréquentations. Je l'écoutais me parler de lui et à chaque nouvelle petite chose insignifiante que j'apprenais à son propos, quelque chose au fond de ma poitrine s'animait. Quand le soleil darda ses premiers rayons sur les cimes des arbres, j'emmenai Cédric jusqu'au rocher où j'étais certaine qu'il serait en sûreté.