Déjà, je m’éloignai à grands pas. Mon frère me cria quelque chose mais je ne compris rien car l’orage qui redoublait d’intensité brouillait sa voix à tel point qu’à quinze mètres de distance, elle m’était inaudible. Je regardai distraitement autour de moi. D’immenses chênes surplombaient le cœur du village. Mon père m’avait dit quand j’étais encore petite fille que les premières générations qui étaient arrivées ici avaient planté leur maison les unes à côté des autres et que le village s’était étendu depuis, autour de ces habitations ancestrales. Ainsi, les plus vieilles familles résidaient dans le centre. La maison de mes parents ne se trouvait d’ailleurs pas très loin de là mais je n’avais pas le cœur d’aller leur dire bonjour. Je préférais rentrer chez moi.
D’abord pour me débarrasser de toute cette saleté et puis ensuite pour continuer à travailler sur le projet qui me mangeait la moitié de mon temps libre. En effet, comme pour les Hommes, nous devions jusqu’à l’âge de seize ans, nous rendre à l’école. Nous avions en tout quatre cours élémentaires et trois options au choix. Le premier des cours, le plus important était l’étude de la nature. On nous apprenait à reconnaître chaque plante, chaque animal qui nous entourait et on découvrait leur mode de vie. Le deuxième cours, c’était l’histoire de Lauruï. Notre professeur nous parlait de tout ce qui s’était passé avant notre naissance, des ancêtres de qui nous descendions et des guerres qui avaient ravagé nos contrées il y a des années. Ensuite, il y avait le cours de race où l’on nous faisait savoir les différences qui existaient entre les peuples des Nuages, des Arbres et des Terres. Bien-sûr le discours des instituteurs variait selon leur place dans ces sociétés. Enfin, la dernière classe résidait dans le travail manuel et la recherche. A ce niveau là, nous organisions des patrouilles à travers la forêt et recherchions l’inconnu, l’innovation. Des ateliers étaient régulièrement mis en place pour rassembler les idées inédites, les nouveaux projets qui pourraient améliorer notre existence. Pour en venir maintenant aux options, il y avait en tout et pour tout le conservatoire où l’on pouvait jouer de la musique et s’entraîner à la danse, le cours de cuisine et potions où l’on confectionnait de bons petits plats et préparait des remèdes et pour terminer le cours de combat où les garçons apprenaient à se servir de leurs muscles et à devenir plus forts afin de défendre nos terres contre d’éventuelles attaques futures. Seuls les mâles pouvaient s’inscrire à cette dernière classe. Notre école se situait sur la place. Entièrement faite en chaux, en bois, en paille et en feuilles, comme tous les bâtiments de notre Cité, elle s’élevait haut vers le ciel et était le deuxième point culminant de la ville, après la tour de garde. Il y avait trois sections. La première était la section N, exclusivement réservée à l’élite de notre Monde, les Nuages. La deuxième était celle dont je faisais partie, les A, le clan des Arbres. Puis la dernière représentait le groupe des Terres, la T. Moi, je suis en A3.
L’école était le seul endroit où je pouvais rencontrer Sho et Sue sans prendre de risque, même si généralement les différentes races ne se mélangent jamais. Chacun reste auprès des siens. Personnellement, je trouve cela stupide mais je ne peux rien y changer. Les mentalités sont ce qu’elles sont. Les classes 1, 2 et 3 fonctionnent par tranches d’âge. Ainsi, dans la classe 1 se trouvent les élèves qui ont entre 2 et 6 ans. En 2, entre 7 et 11 ans et en 3, entre 12 et 16 ans. Ce système est très pointu et chaque étudiant doit le respecter à la lettre. Nous avons cours trois jours par semaine, le lundi, le mercredi et le vendredi. Le reste du temps, nous pouvons l’employer comme bon nous semble. La plupart d’entre nous en profite pour voir ses amis ou sa famille ou tout simplement se reposer chez soi.
Moi, je vadrouille à droite et à gauche mais depuis quelques temps, ma nouvelle occupation m’accapare complètement. Je me rends souvent à la bibliothèque afin de me renseigner. Tay, lui, s’amuse comme un petit fou en dressant toute sorte d’espèces animales. Aujourd’hui, c’était le tour de Pouf. Il lui arrive aussi d’en soigner et de les aider jusqu’à ce qu’ils aillent mieux. Je suis sûre qu’il ferait un excellent vétérinaire s’il travaillait un peu plus à l’école.
Me voilà devant mon arbre. La porte n’est jamais fermée à clef. Ici, nous nous faisons mutuellement confiance et je crois que c’est un des piliers de notre civilisation : nous avons foi en chacun de nos membres. Nous sommes tous frères mais je ne démens pas que des inégalités persistent encore et toujours entre nos peuples. Je pousse la porte et pénètre dans le tronc creux. Je me hisse sur la corde raide qui relie le sol à l’étage supérieur et grimpe rapidement. Mes jambes puissantes sont habiles et je progresse en un rien de temps. Ma chambre est exactement telle que je l’avais laissée. La coquille de noix vide qui me sert de lit est faite : Les draps sont pliés correctement. Le plancher est impeccable. Mon bureau et mon tabouret sont intacts. La tulipe rouge qui me sert de plafonnier s’illumine lorsque je tire sur la tige. La luciole qui s’y abrite s’allume automatiquement.
Au dehors, la tempête s’est calmée mais la nuit est déjà tombée. Des milliards d’étoiles scintillent. Je songe à Sue et au peuple des Nuages. Ils ont encore fait des miracles ce soir. Sans eux, la magie d’un ciel étoilé n’existerait pas. J’étouffe un bâillement. Je me sens extrêmement fatiguée par cette longue journée mais il m’est impossible d’aller me coucher tout de suite. Je dois d’abord me concentrer sur mon travail. En fait, depuis bientôt un mois désormais, j’essaie de fabriquer un télescope. Cet outil merveilleux sert, d’après Sue, aux humains pour contempler le firmament. Alors, je me suis dit qu’avec cet engin, je pourrais à mon tour les observer et puis, qui sait peut-être qu’un jour, je pourrais apercevoir un humain pour de vrai. Je suis consciente que c’est de la folie mais je ne peux pas m’empêcher d’y croire.
Alors jour et nuit, je m’acharne, je me démène pour mener à bien mon objectif et monter cette lunette astronomique. Je m’assieds à mon bureau et observe le plan de construction que j’ai esquissé au préalable. Il ne me manque plus qu’un seul élément à dénicher pour commencer à assembler le puzzle : Un fer à cheval. Mais j’ignore totalement ce que ça peut être. Je sais que le fer est un métal dont se servent les Hommes de la Planète Bleue pour construire toute sorte de choses mais un cheval… Je n’en ai jamais rencontré. Est-ce une fleur ? Un vêtement ? Un animal ? Mystère. J’ai bien essayé de me documenter à la bibliothèque mais aucun ouvrage n’en mentionne et les professeurs à qui j’ai posé la question n’ont pas su me répondre sur le sujet. Je commence sérieusement à désespérer. Finalement, peut-être que ce rêve n’est pas à ma portée, que tout ce que je réalise depuis le début ne sert à rien.
Je pose ma tête qui m’apparait vraiment très lourde sur la feuille lisse de mon croquis et mes paupières s’abaissent d’elles-mêmes, lentement, tout en douceur. J’entends une mélodie enchanteresse au loin, comme un air de harpe mais je ne me demande pas d’où ces notes mélancoliques viennent. Je laisse mes oreilles s’imprégner de la musique jusqu’à n’être plus absorbée que par elle. Jusqu’à ce que le sommeil m’emporte.
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Les Frontières (TERMINE)
RandomUn univers unique, hors du temps, dont la société est divisée en trois clans : les Arbres, les Nuages et les Terres. Ly, une jeune fille Arbre, cherche à trouver sa place dans ce monde qui lui paraît tellement limité. Prisonnière d'une communauté et...