Chapitre cinq

9 1 0
                                    

Un son étrange me réveille. Comme si quelqu’un toquait contre l’écorce de mon tronc. Je me redresse en sursaut. Toc. Toc. Toc. Toc. Je me lève, mes membres engourdis par la position inconfortable dans laquelle j’ai dormi et m’approche de l’unique fenêtre de la pièce circulaire. En fait, la lucarne a été percée à même l’arbre et il s’agit juste d’un large trou rectangulaire, taillé maladroitement dans le bois. Je me penche sur le rebord et quelque chose me tombe sur le crâne. Une fraction de seconde plus tard, Sho, suspendue à une branche la tête en bas, me salue avec un sourire jovial, ses longs cheveux noirs corbeau pendant dans le vide.

-Sho ! M’estomaquai-je, choquée. Qu’est-ce que tu fiches ici ?

-Sympa ! Moi qui pensais que ma visite te ferait plaisir ! S’offusqua mon amie.

-C’est le cas mais nous ne sommes pas censées nous voir en dehors de l’école ! Qu’est-ce que tu veux ?

-Je sais mais je devais te dire quelque chose d’important. Tu me laisses entrer ?

-Oui, dépêche-toi ! Fis-je en m’écartant afin de la laisser passer dans l’interstice.

Elle se glissa rapidement dans le trou et me rejoignit en bondissant. Je la dévisageai de haut en bas. Elle avait fière allure dans sa combinaison tissée de racine, avec sa peau très bronzée et sa crinière lisse glissant jusqu’à sa taille de guêpe. Ses prunelles d’un marron chocolat me fixaient intensément. 

-Tu exagères Sho ! Imagine un peu que quelqu’un t’aies vue ! 

-J’ai fait attention, pour qui tu me prends ? Tout le monde était encore couché à cette heure-ci.

-Comment as-tu fait pour passer devant les gardes ? M’interrogeais-je à voix haute

-Je leur ai tout simplement dit que je me rendais dans la forêt pour cueillir des champignons.

-Et ils t’ont crue ?

-Évidemment. L’un deux est dingue de moi ! Rit-elle, les coins de sa bouche relevés découvrant une rangée de petites dents pointues.

-Alors, que devais-tu me dire ?

-Hé minute papillon ! Tu ne m’offres pas quelque chose à boire ou à grignoter ? Je meurs de faim ! Figure-toi que je n’ai même pas pris le temps de petit-déjeuner avant de passer te voir !

Connaissant l’appétit dévorant de mon amie, je me doutais que ce qu’elle avait à me confier relevait d’une extrême importance. Je me faisais déjà du souci à ce propos. Obéissant, je lui apportai une tasse de thé bouillant et un plateau de gâteaux secs qu’elle avala sans préambules. Mon impatience tapait déjà du pied pendant que Sho s’essuyait la bouche d’un revers de manche. Enfin, elle reporta son attention sur moi et ce qui l’avait amenée ici.

-C’est bon tu as fini ? 

-Oui. C’était délicieux, je te remercie. Bon. 

Elle se mit debout, ses mains puissantes et dotées de longues griffes acérées tombant le long de ses cuisses minces. Elle resta là, immobile, face à moi et dans son regard, je compris que quelque chose allait changer entre nous. Que plus rien ne serait jamais comme avant.

-Les miens sont en colère. Votre chef a une fois de plus balayé les limites de notre territoire et nous nous retrouvons avec un champ d’action encore plus restreint.

-Hannah ne pensait pas à mal. Il faut davantage d’espace dans la forêt pour l’exploiter afin de lancer des recherches. Nous devons découvrir des choses nouvelles. Ça me paraît essentiel pour l’évolution de notre monde.

-Sans doute que le progrès est nécessaire mais pas au détriment de notre race !

Je crus voir l’espace d’un instant ses ongles démesurés se courber un peu plus, comme s’ils se préparaient déjà à fendre l’air. Ou à fendre quelqu’un.

-Je comprends ton point de vue, Sho. Mais je ne peux rien y faire. Je ne suis qu’une habitante des Arbres, pas leur régisseur. Il faudrait en discuter avec Hannah, notre maître, lui-même.

-Je sais. Mais qui écouterait une pauvre adolescente comme moi ? Enfin, je voulais te prévenir que mon peuple va passer à l’offensive si le tien ne prend pas des mesures.

-Quoi ?! Vous ne pouvez pas faire ça ! Vous n’avez pas le droit !

-Ah oui ? Répliqua Sho avec férocité.

-Non, je veux dire… Nous sommes amies, Sho. Depuis toutes petites. Comment notre amitié pourra-t-elle survivre si nos familles se livrent à un combat sans merci ?

-Je suis justement venue te mettre en garde pour cette raison. Pour que tu saches que ta vie m’est précieuse. Il faut que tu préviennes tes proches. Que vous vous protégiez. Je ne sais pas exactement quand la guerre éclatera mais ça ne devrait pas tarder trop longtemps.

Sho se tourna vers la fenêtre et enjambait déjà le rebord.

-Non attends ! Il doit y avoir un moyen d’éviter ça !

-J’aimerais bien savoir lequel. Je suis désolée Ly. Sincèrement. Mais les miens ne peuvent pas indéfiniment vivre dans l’ombre des Arbres et des Nuages.

Puis elle disparut. Je la regardai filer entre les arbres à une vitesse insoupçonnable. Elle s’enfonça dans la forêt et mes yeux ne purent la suivre où elle allait : Sous terre.

Les Frontières (TERMINE)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant