Chapitre quatorze

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Les jours s'écoulent paisiblement à Lauruï, du moins en apparence. On pourrait croire que rien de particulier ne s'est produit mais moi, je sais que si. Quelque chose est arrivée. Quelque chose a tout changé et je suis la seule, pour le moment, à deviner la tempête qui gronde à l'horizon. Plus rien ne sera comme avant si l'existence de Cédric et de son peuple est révélée au grand jour. Pour le meilleur ? Pour le pire ? Le poids de ce secret me paraît souvent trop lourd à porter pour mes frêles épaules d'adolescente. J'aimerais tant pouvoir me confier. Dire ce que je ressens à propos de tout ça, à propos de Cédric. Mais je n'ose pas. Il compte sur moi. Je ne peux pas le trahir. Pas comme ça. D'en bas, je contemple les nuages. Le peuple souverain qui y vit ne se doute absolument pas que leur pouvoir absolu pourrait être à remettre en question. La hiérarchie de nos civilisations ne semble plus tenir si bien aujourd'hui, maintenant que j'ai découvert que nous sommes quatre et que les Eaux, censés être inférieurs aux Terres, sont en fait la seule faction qui pourrait tenir tête aux Nuages. Et les détrôner.

L'école est fermée aujourd'hui alors je décide de partir en forêt. Je fais mine d'aller cueillir des fleurs ou de partir à la recherche du fameux fer à cheval, mais au fond de moi je sais très bien ce que je recherche réellement. Ou qui. Toujours impossible de remettre la main sur ce satané lac. A-t-il seulement existé ? N'ai-je pas tout bêtement fantasmé toute cette histoire ? Cédric est-il bien réel ? Ou n'est-il que le fruit de mon imagination débordante ? A force de me sentir opprimée dans notre société, j'ai pu chercher à m'évader par le rêve. Au moment où j'ai envie d'abandonner ma quête, j'entends une sorte de grognement mêlé de gémissements. Et là, caché dans un immense buisson d'épines, je le vois. Il est enroulé sur lui-même, à même le sol, tremblant et transpirant. Sa peau bleutée est encore plus pâle que dans mon souvenir. Des perles de sueur gouttent de son front. 

Il gardait les yeux résolument fermés comme s'il essayait de s'endormir mais lorsqu'il les rouvre enfin et se rend compte que je suis là tout près, il cherche à se redresser sur un côté. Cette tentative de se mouvoir lui arrache un cri déchirant de douleur. Sans hésiter une seconde de plus, je m'approche au plus près de lui et je le maintiens allongé sur l'herbe fraîche. Il me dévisage pendant que je scrute son corps, non sans que mes joues ne s'enflamment, à la recherche d'une éventuelle blessure.

Elle est là, entre ses côtes, en plein milieu de son bas-ventre : une entaille profonde, béante et sanguinolente. Je la touche du bout des doigts. Il hurle à la mort. Je retire ma main et je lui demande :

-Comment tu t'es fait ça ?

-Un coup d'épée. On me l'a assenné parce que j'ai délivré des innocents comme toi. J'ai dû m'enfuir. Je ne peux plus y retourner. Et maintenant que mon peuple est au courant, je suis poursuivi dans tout notre royaume. Les gardes de notre chef n'auront de cesse de me chasser jusqu'à ce qu'ils me trouvent et...

-Et quoi ? Dis-je, pantelante même si je devine ce qu'il s'apprête à dire.

-Et me tuent.

Les Frontières (TERMINE)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant