Chapitre vingt-deux

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J'ai des étoiles plein les yeux et des papillons plein le ventre quand je rentre chez moi. Je me repasse en boucle le film de cette journée si particulière. Tout est allé très vite entre Cédric et moi, pourtant si c'était à refaire, je le referais. Encore et encore. Dès que j'ai fait sa connaissance, j'ai su, instantanément, qu'il se passerait quelque chose entre lui et moi. Que j'allais tomber sous son charme. Que j'allais tomber, comme jamais auparavant. On dit que ça fait mal de tomber. Mais tomber amoureuse, ça fait un bien fou. J'ai l'impression de voler et je ne veux surtout pas redescendre sur terre. Cédric est resté au rocher. J'aurais voulu l'emmener avec moi, partout. J'aurais voulu dormir avec lui, m'endormir sur son torse. Rêver de nous deux. Mais je ne le peux. Je pense que ma famille doit m'attendre de pied ferme pour avoir des explications sur mon comportement. Je n'ose imaginer ce que doit en penser Hannah notre chef. Et honnêtement, pour la toute première fois de ma vie : je n'en ai rien à faire de ce que l'on peut dire ou penser de moi. Je me sens heureuse, épanouie et c'est tout ce qui compte.

Je réalise que Cédric a apporté ce qui manquait jusqu'à présent à ma vie : l'amour, la sérénité, la plénitude. Soudain, je songe à Mathias. Quelque part, au fond de moi, je me sens coupable. Il m'aime. Et j'ai l'impression de le trahir. J'ai l'impression que mon coeur était censé lui appartenir. Aujourd'hui, je l'ai mis entre les mains de quelqu'un d'autre et j'ai le sentiment que j'ai mal agi. Pourtant, la culpabilité que je pourrais ressentir ne fait pas le poids face à l'émotion qui m'a saisie lorsque Cédric m'a donné ses lèvres.

Comme je m'y attendais, mes parents sont présents devant mon arbre lorsque je reviens au village.

-Qu'est-ce qui t'a pris bon sang ? Fulmine mon père.

-Ly, tu nous mets dans une position délicate. Notre chef n'appréciera pas. S'inquiète ma mère.

-T'étais où ? Demande mon cadet.

Je ne réponds pas à leur colère. Je baisse la tête, j'encaisse. Je fais comme si je n'entendais pas. Tout ce que j'entends, ce sont les battements frénétiques de mon coeur qui peine à retrouver son allure naturelle. 

-Tu nous écoutes Ly ? C'est très grave ce que tu as fait ! On n'est pas supposé contester l'autorité d'un enseignant ! Poursuit mon père, virant à l'écarlate.

-Ah oui ? Fais-je. Même quand il se fourre le doigt dans l'oeil ? Même s'il ne sait pas de quoi il parle ? Même si c'est un imbécile ?

Et là, le coup part. La main de mon père fond sur ma joue et la gifle qu'il me donne me fait l'effet d'une brûlure, d'une morsure. Je touche ma peau à l'endroit où il m'a frappée. Il ne l'avait jamais fait. Les larmes me montent aux yeux. Je ne veux pas qu'ils voient que je craque. Je ne veux pas les laisser penser que je suis faible. Je ne veux pas les laisser gâcher la plus belle journée de mon existence. 

-Ly, je... 

Mon père avance de nouveau ses doigts à ma rencontre. Je le repousse.

-Ne me touche pas.

-Ce n'est pas ce que... Je suis désolé... Ly ! Attends ! 

Je me précipite hors de leur portée. Ils m'appellent tous les trois mais mes cheveux dans mes oreilles et les bourrasques de vent couvrent leur voix. Je laisse enfin mes larmes couler pendant ma course. Elles roulent jusqu'à mon menton, glacées, ardentes, creusant des sillons sur mon visage. Comme j'aimerais qu'il soit là. Avec moi. Pour me soutenir. Mais si je me risque à lui rendre visite trop souvent, on remarquera que je cache quelque chose. Ou quelqu'un. Je ne peux pas. Je ne veux pas le perdre. Alors je m'effondre seule, contre un arbre parmi tant d'autres. Je me recroqueville contre l'écorce et je me laisse aller à ma détresse. Pourquoi ne comprennent-ils pas ? Pourquoi ne puis-je pas être ce que j'ai envie de devenir ? Pourquoi ne puis-je pas savourer le bonheur d'être aimée de Cédric ? Pourquoi faut-il toujours qu'on cherche à m'enchaîner quand justement j'essaie de me libérer ? 

Les Frontières (TERMINE)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant