Chapitre XXII

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Alors que j'ai toutes les peines du monde à entrouvrir les paupières, la plus belle des visions se matérialise devant mes yeux plissés et endormis. D'ailleurs, je les cligne deux fois pour être certaine que mon cerveau ne me joue pas des tours en cette heure matinale. Mais non. Tout est bien réel. Rafael est bien en train de ronfler la bouche ouverte. Charmant. Je prends deux minutes pour l'observer, les mains calées sous ma tête et le sourire aux lèvres. Il paraît paisible et enfantin, comme cela. Et c'est seulement à cet instant que je prends conscience de nos pieds emmêlés les uns aux autres et de son bras reposant contre mon dos, protecteur et possessif. Si seulement...

Après plusieurs minutes de cet espionnage abusif, je tente de me défaire de son emprise en soupirant. Aujourd'hui, je n'ai pas besoin de lui. Malgré le fait que je me sois endormie à une vitesse ahurissante, j'ai passé une bonne partie de la nuit éveillée à ressasser et à penser en compagnie du souffle régulier de mon partenaire de couchette. Trop d'énigmes restent encore sans réponse pour que j'apprécie tranquillement un mariage qui me coincera à jamais entre des barreaux dorés. Il est maintenant temps que ce voile d'ombre qui m'obstrue la vue, s'envole. Je veux et je vais obtenir les réponses à mes questions. Et pour se faire, il faut que Rafael reste ici.

C'est donc pour cette raison que j'essaie de me défaire de son emprise sans le réveiller, une mission qui me fait me mordre la lèvre de concentration. Je marque une pose lorsque mon pied se retrouve enfin en dehors de la couette et respire un grand coup avant d'attraper doucement son bras qui recouvre mon corps. Il bouge subitement tandis que je retiens ma respiration tout en m'insultant de tous les noms dans ma tête. Heureusement, Rafael s'est seulement retourné dans l'autre sens, me facilitant le travail. Je sors du lit silencieusement avant de courir sur la pointe des pieds jusqu'à la salle de bain.

Après un rapide SMS à l'intention de Line, je me baisse et ouvre le placard de secours prévu par mes soins, « au cas où » un tel jour se présenterait. Manifestement, ce jour est arrivé et c'est bel et bien maintenant que je dois agir. J'attrape alors la paire de jeans et le tee-shirt - seuls vêtements de ce type que je possède - et m'habille rapidement, l'oreille tendue vers la chambre. Je n'entends rien, j'espère que c'est bon signe. Une fois prête, je m'empare du sac à dos et y fourre mon téléphone et les plans des souterrains, on n'est jamais trop sûrs. Mes mouvements se suspendent lorsque je pense à l'homme qui se trouve juste derrière la cloison. Mon père va sans doute m'en vouloir, je m'en fiche. Mais cela me fait mal de savoir qu'il va se lâcher et proliférer toute sa haine sur son garde du corps. Celui-là même qui ne devait pas me lâcher d'une semelle. Toutefois, c'est la chose à faire. Rafael ne ferait que me ralentir pour cette première étape. Par contre, j'espère qu'il sera assez futé pour me retrouver après cela.

De retour dans la chambre, je regarde une dernière fois cet homme endormi avant de sortir d'un pas pressé. La prochaine fois que je le verrais, ce sera peut-être le jour de mon mariage. Et encore, ce n'est pas dit qu'il soit invité. À bien y réfléchir, c'est peut-être mieux qu'il ne vienne pas. Autant me faciliter les choses, n'est-ce pas ?

Les couloirs de la maison sont silencieux lorsque je les empreinte. Rares sont les fois où des rires et des paroles ont ricoché contre ces murs. Seule la froideur du propriétaire se fait ressentir. Cela m'a toujours fait grelotter, et ce jour-ci ne déroge pas à la règle. Je ne sais pas où se trouve mon paternel et je m'en fiche royalement. Plus loin il se trouvera, mieux je me porterai. Ma vie fonctionne ainsi.

L'un des seuls points positifs que j'ai réussi a tiré de ce mariage arrangé, c'est l'éloignement avec mon père. Un éloignement fictif puisque c'est lui qui tire les ficelles depuis le premier jour de ma triste vie. Mais malgré cette constatation, je ne peux m'empêcher d'être heureuse de ne plus vivre dans cette froide demeure une fois l'anneau enfilé à mon annulaire. Plus que quelques jours d'attente, quelques heures en réalité, cela se joue à presque rien. Le passage de mademoiselle à madame ne fait que s'approcher, à l'image de mes pas qui martèlent le sol jusqu'à la cuisine. Je referme la lourde porte derrière fois et attends quelques secondes immobile, à l'affût d'un quelconque bruit. Le silence m'accueille, rassurant et à la fois angoissant. Cette escapade était beaucoup moins flippante lorsqu'il y avait Line et Rafael avec moi, il faut bien l'avouer.

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