24.2- ELIO

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Je descends un peu plus mon bonnet afin de couvrir correctement mes oreilles face au froid et souffle dans mes mains pour les réchauffer. Les rues sont vides, tout le monde est en train de fêter le réveillon comme il se doit. Et moi, j'erre sur les trottoirs, seul. J'ai toujours aimé Noël : ce n'est plus un secret pour personne. Mais, ce soir, la bonne humeur n'est pas au rendez-vous. Je glisse ma main dans ma poche et sens un bout de papier. Un sourire triste arbore mon visage et je le sors pour l'observer.

Sur la photographie, je reconnais la salle de cinéma dans laquelle nous étions allés voir L'étrange Noël de Monsieur Jack avec Louis-Joseph et les enfants. Mais, je ne devais pas être là quand la photo a été prise car cette scène m'est méconnue. Jaëlle est entourée des triplées ainsi que Kylian et Conan, se livrant un bras de fer chinois sans merci. Ses sourcils sont froncés et elle se pince les lèvres. Je crois que je ne l'ai jamais vue aussi concentrée. Pas même à la patinoire. Je retourne le cliché et en redécouvre le dos noirci d'encre. Chaque personne qui était présente à cette occasion y a laissé quelques petits mots pour Jaëlle. Plus tôt dans la soirée, Louis-Joseph m'a pris à part pour me faire marquer une petite note dessus également, pour lui faire une surprise juste après.

Mais, cinq minuscules minutes plus tard, tout s'est écroulé.

Je ne peux pas dire que j'ai compris ce qui s'est passé, car en vérité, je n'en ai pas la moindre idée. Jaëlle a soudainement pâli, son verre lui a glissé des mains, puis elle est partie en courant, sans donner aucune explication. Tout a basculé si brusquement que je suis incapable d'identifier l'élément déclencheur.

Et ça me tue. Ça me tue de me dire que je ne peux pas aider celle qui fait battre mon cœur. C'est comme si je contribuais de manière passive à la rendre mal en point, sans pouvoir y faire quoi que ce soit.

Mes yeux me piquent légèrement et je prends une grande inspiration pour me calmer et apaiser l'étrange tourbillon de sentiments qui me ravage de l'intérieur. Alors, je me concentre sur autre chose. Comme la petite mamie au loin qui marche difficilement avec sa canne, un sac sous le bras. Instinctivement, je me rapproche pour lui prêter main forte, mais un jeune homme me coupe la route et la rejoint. Il passe une main autour de ses frêles épaules et récupère le cabas qui l'encombre.

— Mémé Mireille, je t'avais dit de m'attendre ! la réprimande-t-il doucement.

— La vieille mémé que je suis peut encore porter ses courses.

Elle rouspète contre celui qui semble être son petit-fils et je souris, attendri, quand il soupire.

— Tu ne m'avais pas dit qu'une jeune fille t'avait aidé à rentrer la dernière fois ?

Elle secoue sa canne un instant et je recule alors que l'objet manque de m'éborgner.

— Ne sois pas si désagréable, jeune homme, le menace-t-elle avec sa béquille de malheur.

Il lève les mains en signe de récidive et je les dépasse en souriant gentiment. Après quelques minutes de marche dans ce froid glacial, me voilà enfin devant mon immeuble. Je me précipite vers celui-ci quand j'aperçois un homme, allongé sur le sol. Il grelotte et renifle. Même s'il porte une veste comme couverture sur son frêle corps, elle est tellement fine et petite que le vent la soulève sans difficulté à chaque bourrasque. Je plisse les yeux, touché par cette vision juste en bas de chez moi. Puis, une idée me vient à l'esprit et je me dis que celle-ci est peut-être le meilleur moyen de rattraper ce triste réveillon.

Je me précipite vers mon appartement, grimpant les marches quatre à quatre. Une fois dans ma chambre, je prends le plus grand sac que je trouve et saisis une couverture bien chaude. J'agrémente le tout de quelques boîtes de biscuit qu'il me reste et retourne à l'entrée de mon immeuble.

L'homme s'est redressé et me sourit quand il me voit approcher. Je lui tends alors la couverture avec laquelle il se couvre directement. Après avoir vidé mon sac de nourriture, il me remercie plusieurs fois. Je m'assois à ses côtés, voulant lui tenir compagnie quelques minutes en ce réveillon. Le dénommé Seb commence alors à m'expliquer qu'il ne vit pas dans la rue, que c'est la première fois et sûrement la dernière.

— Ma femme est actuellement dans sa famille, en train de déguster un repas digne de ce nom. Je ne pouvais malheureusement pas être à ses côtés car j'avais des dossiers urgents à boucler.

— Mais, qu'est-ce que vous faites sur ce trottoir alors ?

— J'y viens. J'ai tout simplement oublié mes clés dans l'appartement. Et, comme tu t'en doutes, je suis dans l'incapacité de rentrer chez moi actuellement.

— Pourquoi vous n'appelez pas votre femme ?

Il m'explique alors qu'elle se trouve à une heure de route, qu'il l'a prévenue par message et que, pour le moment, il n'a aucune réponse.

— Je profite du froid en attendant, ricane-t-il. Quand nous serons en été, il fera trop chaud et je regretterai presque l'hiver.

Je ris face à ses propos et m'apprête à lui proposer de l'inviter à l'intérieur pour qu'il puisse attendre sa femme au chaud, mais il me coupe.

— Mais je fais tout pour rester optimiste ! Demain sera un autre jour et je pourrai profiter de Noël avec toute ma famille ainsi que mes enfants. Crois-moi, j'en rêve depuis ce matin.

Sans que je ne comprenne réellement pourquoi, cette phrase fait tilt dans ma tête. Demain sera un autre jour. Mais bien sûr ! Jaëlle est cloîtrée chez elle aujourd'hui, mais peut-être qu'elle sortira le bout de son nez demain. Plein d'espoir, je prie pour qu'elle nous rejoigne au Noël d'Abby. La nuit porte conseil et j'espère que Jaëlle réussira à se calmer. Sinon, je pourrais toujours tenter de me rendre chez elle, quitte à me prendre un second vent. Mais je m'en fiche, je ne l'abandonnerai pas.

— Papa ! s'écrit une voix d'enfant.

Seb relève la tête et un sourire illumine son visage. Une femme se précipite vers lui.

— Je suis partie dès que j'ai vu ton message, je n'ai pas pris la peine de te répondre dans la précipitation.

— Ce n'est rien. Et ta famille ?

— Je n'allais quand même pas laisser mon boulet de mari sur un trottoir dans le froid quand même !

Je souris face au couple. Tous deux me remercient pour l'attention portée à Seb, cet homme frigorifié et seul dans la rue. Après les avoir salués, je me dirige de nouveau vers mon appartement, des espoirs pleins la tête concernant ma Jaëlle et ses tourments. 

 

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Pepperonis for Christmas [TERMINÉE]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant