J-48 | Jeudi 6 novembre
Je marche dans les rues de Grenoble, un paquet de papier toilette sous le bras, et deux sacs pleins de nourriture à la main. On en a jamais trop. Au détour d'une rue, comme si je changeais de monde, la pluie se met à tomber dru, me prenant complètement au dépourvu. Avant même que je n'aie le temps de sortir mon parapluie bleu nuit à étoiles blanches, je suis déjà trempée jusqu'aux os. Dans un énième effort, je l'extrais de mon sac à main, et le déploie non sans mal au-dessus de moi, manquant de peu d'éborgner un passant dans mon inattention.Après de longues minutes à marcher sous les ignobles décorations de Noël suspendues entre les immeubles, en prévision de la période des fêtes, je commence à grelotter dans mes habits humides. Mon chemisier gris est devenu transparent, et laisse voir mon soutien-gorge rose fluo. Je rougis subitement et, honteuse, je ferme ma veste, cassant un bouton au passage, avant de décider de m'arrêter boire un thé au café où j'ai fait tomber mes paquets hier, histoire de m'excuser pour toute la bastringue créée.
En arrivant sous l'auvent tristement bordeaux où de grosses lettres capitales déclament « Palace Café » , je dépose mes sacs à terre avec un semblant de délicatesse, et tente de fermer mon parapluie. À la table d'à côté, un couple d'octogénaires me regarde bizarrement tirer comme une demeurée sur le coulant pour que l'objet qui était censé me protéger de la pluie accepte de se plier, mais ma force est telle - quelle bonne blague - qu'une branche saute, déchire la toile, et fait couler l'eau glacée sur la tête des doyens et dans leur petit déjeuner.
—Oh... excusez-moi ! Je ne voulais pas vous... commencé-je
—Nous quoi ? Nous déranger ? Votre simple présence est de trop mademoiselle ! me rétorque le vieillard.
—Michel !
Michel ? Il a usurpé le nom de mon lapin !
—Voyons, un peu de respect, ce n'était qu'une maladresse, le reprend sa femme.
—Les jeunes de nos jours... Désespérants, continue le voleur d'identité sans se préoccuper de la réprimande.
Ses longs doigts osseux saisissent un morceau de bacon dans son assiette et jettent l'aliment à quelques centimètres de mes pieds.
—Junior ! appelle-t-il. Viens manger ! Et vous, déguerpissez, ajoute-t-il à mon intention.
Un chien surgit de sous la table et se jette comme un lion affamé sur le pauvre morceau de viande grillé, manquant au passage de briser mon fragile équilibre. Quant à moi, je ne me le fais pas dire deux fois, rentre la tête dans le col de mon blouson et pousse mes sacs vers l'intérieur du café dont la porte est tenue ouverte par la serveuse de la dernière fois. Je la remercie d'une toute petite voix, et accroche mon parapluie en morceaux sur la patère destinée à cet effet. Je sens les yeux de la jeune femme posés sur moi, mais je n'ose pas la regarder. Elle doit se souvenir de moi, et de mon papier...
La scène me revient, et avec celle-ci ma dernière pensée avant de partir : « Jackie, Michel et la grosse carotte ». Je lâche un éclat de rire, attirant des regards vers moi et me traîne vers une table libre, aussi loin que possible dans le fond de la salle. Ils doivent tous me prendre pour une folle. S'il m'était possible de disparaître dans le mur, ça m'arrangerait bien. Ça m'éviterait au moins la pitié de la serveuse, qui s'approche de moi et m'offre son aide.
—Non merci, je vais m'en sortir, je lui réponds.
Sans se préoccuper de ma réponse, Abby-Gail, dont j'ai enfin lu le nom accroché au demi-tablier bordeaux, saisit un paquet, et l'emmène au fond du magasin. Je la suis, et m'affale sur le siège, le faisant basculer et manquant de tomber à nouveau.
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Pepperonis for Christmas [TERMINÉE]
RomanceChute après chute, Jaëlle emménage à Grenoble pour son master de psychologie clinique. N'ayant pas pu valider son dernier semestre, elle espère pouvoir se rattraper et retrouver un équilibre dans sa vie de jeune femme. Sa maladresse l'amènera à fair...