Heureusement que Conan est là. Il apporte une ambiance enfantine qui détend l'atmosphère. Et, actuellement, on en a bien besoin. C'est la première fois que je suis aussi mal à l'aise avec Jaëlle dans les parages. Physiquement elle marche à mes côtés, enfouissant sa tête dans son écharpe à chaque coup de vent. Mais mentalement, j'ai l'impression de l'avoir perdue. Comme si elle n'était plus que l'ombre d'elle-même.
— L'amour c'est vraiment nul, intervient Conan.
Je le fixe, ne comprenant pas d'où lui sort cette phrase. A quoi fait-il allusion ? Au malaise présent entre Jaëlle et moi ? Ou alors c'est juste une de ses phrases bizarres dont il en a le secret ? En tout cas, Jaëlle est tellement dans les nuages, qu'elle ne sourcille même pas. Elle ouvre la porte de l'immeuble et s'engouffre dans le hall. J'interroge quand même Conan sur ses mots.
— Bah, j'ai vu Estelle à l'école qui tenait la main d'Arthur aujourd'hui. C'était censé être mon amoureuse et moi son amoureux. Mais bon, tant pis pour elle, hausse-t-il les épaules.
Je soupire de soulagement. Il m'avait déjà parlé de cette fameuse Estelle, mais sur le coup, je n'avais pas vraiment fait le rapprochement. Je suis trop perturbé, ça ne va pas du tout. Une fois dans l'ascenseur, ma poitrine se compresse et je me sens légèrement oppressé. Cette tension va vraiment finir par drainer mon énergie. Je n'ose même plus regarder Jaëlle. En réalité, je ne sais juste pas quoi faire pour engager le dialogue entre elle et moi. La dernière chose que je souhaite est d'avoir une parole mal placée ou un peu trop maladroite. Même si je ne suis pas certain que le silence soit la meilleure des options...
La voix automatique de l'ascenseur annonce que nous arrivons au troisième étage et je me fais violence pour ne pas me précipiter vers la sortie. Même face aux bavardages incessants de Conan, nous sommes imperturbables tandis que le silence s'étend entre Jaëlle et moi. Il est si lourd que j'étouffe dans cette cabine étroite. Une petite voix au fond de moi me souffle sans cesse que tout est de ma faute. Que je n'aurais pas dû lui forcer la main avec cette histoire de Noël chez Abby. Et je m'en veux. Je crois que j'ai dépassé certaines limites.
Je rejoins la sonnette des parents de l'enfant et y appuie le doigt, pressé d'en finir. Pressé de lui parler, de m'excuser. Rapidement, la mère de Conan apparaît sur le seuil de la porte et son visage enthousiaste enlève un infime bout de pression sur mes épaules.
— Elio, Jaëlle, comment allez-vous ? Entrez !
— Merci Marine, mais je vais rentrer, décline poliment Jaëlle.
Son visage est crispé et son sourire ressemble plus à une grimace qu'autre chose. Mon cœur bat contre mes tempes et ma culpabilité ne fait qu'augmenter. J'offre un pâle rictus à la femme qui nous observe avec un air interrogateur. Comme pour nous sauver la mise, Conan profite de cet instant pour tirer la manche de sa mère et l'appeler bruyamment. Ouf.
— Qu'est-ce qu'il y a, mon chéri ?
— Est-ce que Jaëlle peut venir à l'apéro de Noël ?
Je sens cette dernière se crisper à mes côtés et Marine lui réitère l'invitation, avec sérieux.
— Bien sûr que oui ! Tu es la bienvenue Jaëlle, on serait ravis que tu te joignes à nous.
— J'y réfléchirai merci, opine-t-elle de la tête.
La mère me jette un regard insistant et je soupire imperceptiblement quand un poids s'ajoute à ma poitrine.
— Je m'en charge, promis-je discrètement à Marine qui ferme la porte en me souriant.
Je me tourne et ne trouve plus Jaëlle. Mes yeux se lèvent et je l'aperçois monter les escaliers, sans même me considérer une seule seconde. On dirait que je suis devenu complètement invisible, que je n'existe plus pour elle en cet instant. Ne voulant pas l'effrayer en la poursuivant, je prononce son prénom d'une voix basse, mais suffisamment fort pour qu'elle m'entende. Elle pivote vers moi pour me faire face et je crois apercevoir de la surprise sur son visage. Mon amie - ou quoi qu'elle soit à mes yeux - me fait un signe de tête pour m'inviter à poursuivre. J'en profite pour grimper les quelques marches qui nous séparent, afin d'être à son niveau et pouvoir plonger mes yeux dans les siens. Mon cœur se serre : la tristesse voile son regard. Ce regard d'ordinaire si enjoué semble bien loin. Je me mords la lèvre inférieure, étrangement angoissé par toute cette tension. Est-ce que j'y suis vraiment pour quelque chose ?
— Est-ce que tu m'en veux ?
Mon murmure m'échappe et plane entre nous deux un instant, pendant lequel les paupières de Jaëlle papillonnent comme si elle reprenait contact avec la réalité. Ses sourcils se froncent et l'incompréhension marque son visage.
— Quoi ?
— Je suis désolé, je ne voulais pas te forcer la main en te poussant à parler à Abby. Je... je n'aurais pas dû je sais. Tu sais quoi, je vais lui parler et la convaincre que tu ne peux pas fêter Noël avec elle et sa famille et...
— Elio, m'interrompt-elle.
Ses doigts s'enroulent autour de mon poignet alors que je sortais déjà mon portable. Je baisse le regard et me rends compte qu'elle tremble légèrement. La jeune femme exerce une légère pression sur ma peau et l'ombre d'un sourire traverse son visage triste. Puis elle prononce cinq mots. Cinq petits mots qui dénouent mon cœur et me rassurent infiniment.
— Je ne suis pas fâchée.
Mon pied retombe sur la marche inférieure et je pousse un soupir de soulagement. L'étau autour de ma poitrine se desserre. Elle relâche sa prise sur mon bras, puis baisse les yeux sur ses mains qu'elle tortille nerveusement.
— Je ne pensais pas réveillonner cette année, je suis juste un peu chamboulée. Ce n'est pas toi.
— Promis ?
— Promis, m'assure-t-elle avec honnêteté.
— Tu sais que tu peux compter sur moi, n'est-ce pas ? Si tu as besoin de quoi que ce soit...
— Je sais, merci.
Elle descend à mon niveau, se hisse sur la pointe des pieds et dépose délicatement ses lèvres sur ma joue. Je n'ai pas le temps de réagir qu'elle s'éloigne en me soufflant un léger « bonne nuit ». Je distingue vaguement ses joues roses et elle me laisse là, sur le palier du troisième étage, troublé et le cœur battant.
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Pepperonis for Christmas [TERMINÉE]
RomansaChute après chute, Jaëlle emménage à Grenoble pour son master de psychologie clinique. N'ayant pas pu valider son dernier semestre, elle espère pouvoir se rattraper et retrouver un équilibre dans sa vie de jeune femme. Sa maladresse l'amènera à fair...