La fin de la journée s'annonçait doucement. Nous étions tous fatigués et ce qui nous intéressait principalement étaient les stands de nourriture. Je marchais avec Sean, parce qu'Aiden s'entêtait à rester à l'avant. Je pense qu'il boudait.
— Il confirme.
Interloquée, je fixai Sean.
— Il t'entend et nous pouvons l'entendre, me rappela-t-il.
Je secouai la tête en me traitant d'idiote. Aiden n'en parlait jamais avec moi, il se contentait de répondre à mes pensées et sur le moment, ça m'avait semblé bizarre que quelqu'un d'autre que lui puisse réagir à mes pensées. C'était pourtant strictement la même chose.
— Pourquoi il est fâché ? m'enquis-je.
Je pris garde à le penser, pour qu'il puisse transmettre à mon compagnon de route. Cette fois, je trouvai cela amusant.
— Tu as passé très peu de temps avec lui aujourd'hui, finalement.
— J'étais avec lui dans la grande roue ! me défendis-je.
— J'étais à ta droite, Jérôme à ta gauche, rit Sean.
— Il regardait le paysage par-dessus mon épaule, plaidai-je.
— Allez va, Aiden s'en remettra, ne t'en fais pas.
Comme pour appuyer ses dires, le feu m'enveloppa. Mon ami n'était pas très rancunier a priori.
— Tu vois, fit remarquer mon voisin.
— Tu perçois ses flammes ? m'enquis-je.
— Non, mais ton ressenti est différent, quand toi tu les perçois.
— Oh, m'étonnai-je.
Plus je le côtoyais, plus ses capacités me semblaient incroyable. Sean avait fait d'immense progrès en testant ses dons sur moi, il disait que j'étais un tourbillon d'émotions et que ça l'aidait à faire la part des choses. Moi, j'étais contente, car j'avais l'impression de servir à quelque chose.
— Sa voix est comment dans ta tête ?
— Hum, pas différente de la réalité. Et la tienne ?
Sean avait souvent ce regard chaleureux et attendri à mon égard. Il semblait me prendre pour quelqu'un qu'il devait protéger à sa façon. De tout le groupe, en excluant Cathy et Aiden, c'était bien celui avec qui je préférais converser. Gabriel et Lucie étaient sympathiques, mais affreusement fermés au dialogue, tout comme Jérôme. Thibault parlait trop, Paul était trop pessimiste et même si Arnaud et sa compagne étaient de bonnes oreilles, je n'avais pas cette même impression d'être écouté sans jugement. Sean, c'était un peu comme si je parlais à quelqu'un d'objectif, il ne disait jamais « c'est bien » ou « ce n'est pas bien », c'était toujours des « qu'en penses-tu » « qu'as-tu envie de faire ? ». Il posait des questions, un peu comme un psychologue et ça m'aidait.
— A quoi as-tu pensé ? m'interrogea-t-il.
Le groupe venait de s'arrêter devant un stand de barbe à papa et de churros. Ils se disputaient entre eux pour savoir quoi acheter.
— Pourquoi ?
— Aiden vient de me demander de m'éloigner, rit mon voisin.
Depuis leur discussion, lorsque Sean m'avait lâché qu'il aurait pu m'aimer, il s'amusait beaucoup des réactions d'Aiden à ce propos. J'avais l'impression qu'ils en avaient fait un jeu muet entre eux. Depuis une semaine, le jeu était rendu public, sans que je ne comprenne exactement pourquoi. Chaque fois que je cherchais ce qui avait pu conduire à cela, un étrange sentiment m'habitait. C'était comme si je savais, mais que je ne voyais plus. C'était assez perturbant.
— Je commence à passer plus de temps avec toi, qu'avec lui aussi.
Sean approuva d'un hochement de tête et le groupe se remit à marcher. Je me mis à penser à ma mère et son histoire de triangle amoureux. Ce n'était pas si idiot, à regarder la situation.
En fixant le dos d'Aiden et les couples autour de lui, je me souvins qu'il avait perdu quelqu'un cher à son cœur. Etait-ce sa moitié ? Il était relativement jeune pour un Luma, donc d'autres possibilités étaient envisageables, pourtant une voix dans ma tête me soufflait que je visais juste. Et un nom difforme résonnait, je ne parvenais pas à le saisir.
— Tu veux que je t'en parle ?
Je sursautai, plus en raison du bras que Sean avait passé sous le mien, que de son interrogation. Il avait beau avoir 300 ans, il fuyait normalement le contact.
— Il a donné son accord, m'indiqua mon voisin avec un signe de tête vers le groupe.
Etrangement, ils s'étaient éloignés.
— Aiden leur a dit de nous laisser ?
— Tu commences à devenir perspicace, me rétorqua le Luma. Il s'excuse aussi de ne pas pouvoir te conter l'histoire lui-même.
Je n'en étais pas vraiment étonnée. Aiden semblait profondément marqué par cet événement.
— Il y a des mauvais souvenirs qu'on aimerait oublier.
Mon pas fut hésitant, avant de reprendre normalement.
— Rose n'est pas tout à fait un mauvais souvenir, seulement leur fin. Alors, tu es prête ?
Je hochai la tête, tandis que nous quittions la fête foraine. Le temps de l'amusement semblait terminé et les nuages se profilaient à nouveau à l'horizon.
— Elle était étudiante en lettres et Aiden en géologie. Il ne nous connaissait pas encore et comptait bien mener une vie normale. Trouver un Luma capable de figer le temps ne l'intéressait pas. Ils se sont rencontrés dans un café, elle travaillait les week-ends pour financer ses études. Même si Aiden fuyait en général les gens comme nous, il a accepté de tisser un lien avec Rose. On le suivait à l'époque, parce que son affinité avec les flammes allait finir par attirer Mike, on le savait. On a été impressionné par le naturel de leur histoire. Tout a été très logique, sans disputes. Ils ont commencé à filer le parfait amour et les ennuis ont commencé.
« Mike a posé son regard sur eux et à l'époque, il détestait tout ce qui allait trop bien. Quand il a perçu le pouvoir de notre ami, il s'est décidé à agir. Nous étions deux clans à le surveiller, à le vouloir avec nous. On se défiait régulièrement à ce propos et il nous est arrivé de protéger Rose, sans le lui faire remarquer.
« Et ce soir-là, tout a basculé. Nous n'avons rien vu venir et l'étudiante a été enlevée. Quand Aiden a trouvé la boite, il a perdu le contrôle de son feu. Tu vois ce qu'il s'est...
Sean se stoppa soudain, comme s'il s'apprêtait à commettre une erreur, puis il reprit.
— Son immeuble entier a pris feu et rien ni personne ne pouvait entrer.
Mes mains étaient subitement moites et mon cœur prêt à s'arrêter.
— Aiden a tué des gens ?
Mes pas devenus trop hésitant, nous forcèrent à nous stopper. En sentant mon affolement, Sean s'empressa de s'excuser.
— C'est quelque chose de normal pour nous, parce qu'on doit se protéger des Obscurs. J'ai oublié pendant un instant que tu étais humaine. Vraiment désolé.
— Je n'ai vu que l'aspect positif de votre monde, je ne pensais pas que... Enfin, passons.
Je restais troublée, parce qu'imaginer mon ami en tueur me semblait être un effroyable cauchemar. Puis, je réalisai qu'ils avaient tous du sang sur les mains et que Cathy finirait par en avoir. Elle allait bientôt être des leurs. Plus que quelques semaines et elle deviendrait la plus jeune membre de leur bande. Ma gorge se serra, parce que je me demandais pour la première fois ce que je deviendrais, une fois les Obscurs éliminés.
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La mort à ses trousses
ParanormalMa vie suivait son chemin, sans trop d'embûches. J'avais dix-sept ans, je la croquais à pleine dents. Je n'attendais que de vivre un amour beau et fort. Et puis, un soir, tout a basculé. Le bonheur que j'éprouvais a volé en éclats. Dix minutes, tout...