Chapitre 30 : Souvenirs

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Nous retournions à la vraie vie, et je n'en avais pas particulièrement envie. Ils avaient raison en se méfiant de mes interrogations, parce que je ne parvenais pas à ignorer la vérité. Pas celle enfouie dans ma tête. Je le sentais, là, dans l'organe qui battait dans ma poitrine, dans ce tourbillon qu'était mon esprit. Je ne pouvais pas simplement retourner chez moi, sans y apporter une réponse. Alors, tandis que je marchais au côté de Sean, tandis que je percevais très nettement le mouvement d'arrêt d'Aiden plus loin devant, je me lançai.

— Sean, vous m'avez effacé des souvenirs ?

L'annonce l'immobilisa net, le regard écarquillé et la bouche s'ouvrant et se fermant. Un instant, je me félicitai de surprendre un Homme vieux de trois cents ans, avant de sentir mon cœur se comprimer. J'avais raison. Cette impression d'en connaitre plus sur l'histoire de Rose était réelle et cette crainte qui sommeillait en moi, bien justifiée. Toutes ces sensations n'étaient pas une exagération de la situation, mais un rappel que mon corps ne parvenait pas à oublier.

— Oui.

Je levai les yeux vers Aiden qui nous avait rejoints. Sean hocha la tête et partit vers les autres. Comme si c'était la mission d'Aiden de m'informer. Il avait l'air assuré, déterminé, compatissant aussi.

— Il y a deux jours, c'est ça ?

C'était l'explication la plus plausible au changement que je percevais entre lui et moi. Quelque chose de fort semblait nous lier, davantage qu'auparavant. Son feu me réconfortait davantage, était plus présent, plus doux. Comme si j'avais vécu l'enfer.

— Oui.

Dans son regard, je pouvais le lire, ce sentiment d'impuissance qui l'habitait depuis si longtemps. Cette impression d'avoir échoué, encore une fois, à me protéger.

L'étau autour de moi se resserra.

— Tu t'en veux ?

Il y eut un éclat de surprise dans ses iris, avant qu'il ne sourit un peu. Je crois qu'il commençait enfin à s'habituer à mes questions inattendues.

— Chaque jour.

Je soupirai, une réaction normale à ses yeux, puisque ses lèvres s'étiraient encore.

— Pourtant, je t'ai dit ne pas culpabiliser, non ?

— Tu te connais.

— Au moins sur ça, ris-je.

Sa chaleur tournoyait autour de moi et je pinçai mes lèvres. J'aurais tellement aimé pouvoir le faire oublier ce sentiment qui n'avait rien à faire dans son cœur ! Hélas, je n'avais rien de concret et mes mots semblaient ne jamais avoir un effet quelconque sur sa personne. Moi aussi, j'étais impuissante, au fond. Je me reposais sur lui, sur eux, en attendant qu'ils frappent, qu'ils m'attrapent. Je les regardais évoluer, tandis que je restais sur place.

— Si tu commences à penser comme moi, je ne sais pas si on ira très loin.

— Hum... je pense qu'on est voué à rester accroché à un mur.

— Je déteins un peu sur toi, non ?

— Et toi sur moi, alors ?

Il secoua la tête en s'esclaffant, puis redevint sérieux. Je boudai un peu, parce que s'évader, c'était plaisant comme sensation. C'était ce côté de lui, qu'il m'avait tant montré lorsqu'il n'était pas lui-même. Je le cherchais toujours, malgré son absence flagrante.

Tiens, peut-être était-ce une des questions dont parlait Sean ?

— Tu es plus attachée à cet Aiden du passé qu'à moi, n'est-ce pas ?

— Non, répliquai-je de suite.

Mon ami écarquilla les yeux, étonné, comme à son accoutumé. Je ne comprenais décidément pas, qu'il ne me comprenait pas.

— Je ne connaissais rien de la personne qui partageait mes récréations. J'avais son nom et son humour, sans sa vie. Je ne peux pas aimer davantage une illusion que la réalité. M'y accrocher, dans l'espoir qu'elle devienne la vérité, oui, mais pas m'en satisfaire. J'aimerais que tes blagues reviennent et aujourd'hui, cela a été le cas. Mais si ce n'est pas toi, je n'en veux pas. J'ai toujours l'impression que dans ta tête, c'est toujours désorganisé, alors j'attendrais que tu puisses me faire entendre ton rire sincère.

— Tu es vraiment bizarre, me retourna-t-il.

— Tu me l'as déjà dit.

J'aurais pu plaisanter davantage, si lui n'avait pas poursuivi son idée.

— Mais je crois que c'est pour ça que tu comptes autant pour moi.

J'avalai ma salive de travers, manquant de m'étouffer et lui reprochai mentalement de ne pas m'avoir préparée à une telle annonce.

— Parce que ça se prépare ?

— Oui !

Pour réponse, il m'ébouriffa les cheveux. Replongeant mon regard dans le sien, je lâchai :

— Je n'ai pas besoin de te l'entendre dire, pour le comprendre. Tu le prouves suffisamment, malgré tout ce que tu peux penser de toi-même. Mais j'ai l'impression que le sens inverse ne fonctionne pas. Tu balaies toujours mes mots, que je pense si sincèrement. Tu fais ta tête de mule et tu restes bloqué sur ton idée de base, je déteste ça. Sauf que si tu as décidé de ne pas m'écouter, je ne peux rien y faire.

— C'est peut-être parce que tu le clames, sans assez le montrer ?

— Je ne sais pas faire ça, moi, paniquai-je. Comment on montre à quelqu'un qu'on tient à lui ?

Est-ce que c'était possible d'en faire trop ? Et si j'en faisais trop, est-ce que ça poserait problème ? Est-ce que si je le faisais mal, Aiden serait fâché ?

— Peut-être en agissant, au lieu de simplement penser ?

Son ton doux, presque venu d'ailleurs, me fit sursauter. Son attitude était aux antipodes de ce à quoi je m'attendais. Alors, c'était ça, d'être surprise dans nos attentes ? Pauvre Aiden qui devait le vivre si souvent avec moi et mon anormalité !

— Ça ne me vient pas naturellement, comme pour toi. Tu vois, je ne peux pas lever les doigts, comme toi, et faire apparaitre ces couleurs orange, rouge et bleu. Je ne peux pas non plus te signaler que je suis là, simplement avec un feu. Je ne peux pas débarquer sous ta fenêtre ou...

Il soupira si ouvertement que je me tus, trop vexée pour encore parler.

— Tu ne me parles que de mes dons, Minah. C'est d'eux dont tu parlais, lorsque tu disais que je le prouvais ?

Il était clairement déçu et vexé. Nous ressentions encore la même chose, c'était dingue ! Il me fit une pichenette sur le front et l'espace d'un instant, le monde tangua autour de moi.

La mort à ses troussesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant