Chapitre 22 : Le destin de Vasti Rose

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— Suis-je bon acteur ? interrogea Mike.

Il était toujours debout, sous la lumière. Il venait de passer les cinq dernières minutes à observer ma réaction, à attendre que je le supplie. Je n'avais rien fait.

— Tu joues, peut-être ?

Mon ironie était flagrante et mon interlocuteur rit de façon grossière.

— Je suis donc bon acteur ! s'enthousiasma-t-il.

Je le dévisageai, l'incitant à poursuivre. Satisfait de mon étonnement, il s'assit et croisa ses bras sur la table. Ses iris noires me transperçaient et je parvenais à y percevoir toute la cruauté dont il était capable.

— Pensais-tu réellement être tombée sur nous par pur hasard ? Que cette envie d'aller au cinéma n'était qu'une action irréfléchie de ta part ?

Je me décomposai, tandis que je mesurais la portée de ses propos. Ils m'avaient dicté ma conduite, ce soir-là. Ils avaient tout prévu. Ils avaient fait passer ça pour du hasard !

Mon interlocuteur ferma soudain les yeux, un sourire de plaisir collé au visage.

— Tu vois, petite, ta peur est délicieuse. J'imagine tant Aiden courir partout, affolé de ta disparition. Lorsqu'il arrivera, il sautera le premier pas vers sa tombe. N'est-ce pas sublime ?

Il rouvrit les yeux, sans doute parce que ma confiance en Aiden avait étouffé ma crainte, la rendant moins exquise.

— Aiden ne s'affole pas. Il est peut-être terrifié de me perdre, mais il ne cède pas à la panique. J'en suis certaine.

Hilare, l'Obscur peinait à retrouver son souffle. Ses yeux s'étaient rétrécis par la même occasion et ma révulsion à son égard s'amplifia.

— Je m'étais décidément trompé, il y a vingt-cinq ans de cela. Il semble bien plus relié à toi, qu'à elle.

« Relié » ? Que voulait-il dire par là ? Rose et lui s'aimaient, notre relation n'était pas la même.

Mike se leva, en trépignant comme un enfant. A ses côtés, l'image d'une jeune femme apparut. Les cheveux longs et ondulés, les yeux clairs et des pommettes rondes, elle était magnifique. Sa robe bleu pastel soulignait parfaitement son corps. Elle devait avoir la vingtaine.

— Je vais te conter la mort de Vasti Rose.

Un souffle glacé se répandit autour de moi et la lumière se tamisa. L'ambiance venait de changer du tout au tout. L'angoisse me saisit, je me forçai à rester concentrée. Même s'il était vain de penser pouvoir rester droite et forte. L'atmosphère était tendue, alarmante. Mike venait de décider que le temps des commodités était passé.

— Elle est arrivée ici, un mercredi soir. Vêtue ainsi, elle rentrait d'une sortie cinéma avec Aiden. Nous l'attendions dans ses appartements. Aiden n'a pas senti notre présence, il ne s'entrainait pas spécialement. Alors lorsque la porte s'est refermée, il n'a pas fait demi-tour. Crois-tu qu'il le regrette ?

Sans aucun doute. A mesure qu'il parlait, les traits d'Rose se modifiaient. Ses expressions correspondaient à ce qu'elle avait ressenti dans ces moments-là. C'était horrible. La suite allait l'être davantage.

— Moi je crois que oui, poursuivit Mike face à mon mutisme. J'ai eu le temps de graver son expression d'incompréhension, avant qu'elle ne soit aspirée ici. Elle n'était pas comme toi, pauvre humaine sans défense, mais elle n'était pas non plus comme Aiden, médiocre Luma. Elle était une petite chose, qui avait la hargne et le désir de vivre. Elle ne produisait que quelques flammèches, bien efficaces. Ce n'est pas ce qui m'a arrêté, sûrement pas. Je l'ai assise, là, à ta place.

L'illusion se plaça sur la chaise devant moi. Elle semblait mépriser l'être devant elle, tout en étant confiante. Une posture droite et un regard dur. Rose pensait s'en sortir. Comme moi. Je compris instantanément ce que je recherchais mon bourreau. A travers les souvenirs, il tentait de faire le parallèle avec ma situation. Il tentait de briser mes espoirs. Il était naïf ! Et moi, bien loin d'imaginer ce qui allait défiler devant mes yeux.

— Je lui ai demandé à quel point elle tenait à Aiden.
— Plus que tu ne peux le penser, Obscur.

J'eus un hoquet de surprise, lorsqu'elle se mit à parler. Mike rejouait la scène, comme si nous y étions. Ce meurtre l'avait-il à ce point marqué ?

Comme pour mieux exercer sa pression sur moi, il vint se placer à ma gauche.

— Tu lui fais donc entièrement confiance, murmura-t-il près de mon oreille, une main sur mon épaule.

Je frissonnai, bien malgré moi.

— Plus qu'une personne de ton espèce ne peut le concevoir, cracha la jeune femme.

La mine révulsée et les mains à plat sur la table, elle était prête à bondir. Sans ses chaines, elle l'aurait sans doute déjà fait. Contrairement à moi, ses bras étaient entravés. Mike s'était méfié d'elle, la jugeant dangereuse. Moi, je n'étais qu'une sous-espèce à ses yeux.

— Comment peut-il te sauver, s'il ne sait pas le danger qui te menace ?

Le beau visage de Rose se peignit d'effroi. Notre ennemi avait raison. Comment Aiden viendrait-il, s'il ne connaissait rien de la situation ? Ce subtil fait modifia légèrement l'ambiance qui régnait. La jeune femme serrait les dents à présent.

— Il le percevra, d'une façon ou d'autre.

Elle n'y croyait pas.

— Penses-tu votre amour suffisamment fort pour l'atteindre ?

Je me demandai sitôt si Aiden avait entendu ses pensées, autant qu'il entendait les miennes. Leur lien avait-il été encore plus fort, plus puissant ?

Je mordis ma lèvre, car j'étais presque certaine que cette anomalie n'avait jamais touché leur couple. Rose ne douterait pas autant. Elle serait confiante, persuadée que d'une manière ou d'une autre, mon ami l'entendrait.

— Oui.

Un « oui » qui aurait pu paraitre assuré, si ses lèvres n'avaient pas tremblé. Rose était condamnée, et elle venait de le comprendre. Même si j'en avais déjà connaissance, mon cœur se serra. Elle allait souffrir, tout en sachant qu'elle mourrait. Les Obscurs étaient des êtres ignobles, ils ne méritaient pas de vivre.

— Alors, commençons à tester cet amour.

Mon bourreau rapprocha encore son visage du mien, effleurant ma peau. Le dégoût m'envahit, en même temps qu'un frémissement me gagna. Je ne pouvais pas m'éloigner, je ne pouvais pas lui montrer ma répulsion. Pas ouvertement, en tout cas, car c'était tout ce que je pouvais avoir : les apparences.

Un autre Mike apparut de l'autre côté de la table. Le même visage, les mêmes cheveux, le même sourire. Il n'avait pas changé d'un pouce, en vingt-cinq ans. Il passa ses doigts fins, sur sa peau. Ses épaules, son cou, son visage. Le réel Mike à mes côtés fit de même. Ce n'est pas la même chose. Me répétai-je, encore et encore. Aiden savait le danger qui me guettait. Il s'était préparé, il luttait pour me retrouver. Il viendrait, pour ne pas commettre deux fois la même erreur.

— Que souhaites-tu en premier ? susurra le bourreau. Les lames ? Le feu ? La glace ? La foudre ? J'ai d'innombrables idées pour toi.
— Encore davantage pour toi, petite, glissa l'Obscur à mon oreille.
— Je n'ai peur de rien, répliqua la jeune femme.

Son regard lointain et ses dents serrées prouvaient le contraire. A son instar, je me devais de paraitre forte, même si je gardai ma bouche close. Il était inutile de mentir.

— J'aime ce genre de réponse, glapit joyeusement l'être ténébreux. Ce sera donc le fer !

Sitôt dit, sitôt fait. Une entaille se dessina sur sa joue. Tout comme sur la mienne. Un doigt passa sur sa blessure peu profonde. Tout comme sur la mienne. Une langue lécha le sang sur sa joue. Tout comme sur la mienne. Mon pouls s'accéléra, incontrôlable, inarrêtable. L'angoisse saisit tous les pores de ma peau. La pensée qu'il me ferait subir tout ce que Rose avait vécu tournoyait dans mes esprits. Il l'avait déposée démembrée à Aiden. Je ne souhaitais pas finir de cette façon, dans un carton sale et le corps meurtri. Alors, une main sur le collier, une seule pensée tourna en boucle dans mon esprit.

« Sauve-moi, Aiden. »

La mort à ses troussesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant