Chapitre 32 : Un étrange rêve

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Aiden, à ma droite, Sean à ma gauche. Moi, au milieu, avec ce sentiment que la journée, malgré le soleil, allait très vite devenir des plus sombres. La marque me titillait depuis la veille et mon rêve de cette nuit n'avait été composé que de sang et de morts. J'étais persuadée que c'était un avertissement, mais le prononcer à voix haute me donnait trop la chair de poule. Alors je me taisais et ce silence les inquiétait, les mettait en garde. Mes compagnons de route étaient sur le qui-vive, prêts à bondir au quart de seconde.

— Tu ne stresses pas trop pour le BAC ?

Sean tentait en vain de détendre l'atmosphère, tandis qu'Aiden ne s'y essayait pas.

— Non, il y a encore du temps.

J'étais crispée, expéditive, peu assurée. J'attendais quelque chose, mais je ne savais pas quoi. Ce qui m'était arrivé devait refaire surface, en les sentant si proche de moi. Et je ne souhaitais pas tellement apporter de réponse à ce mystère.

— On peut t'aider à réviser, si tu veux.

Il souriait, mais je n'étais pas réceptive. Mes pensées tourbillonnaient trop et mon regard fouillait les environs.

— Trois cents ans d'histoire, ça aide.

Je me stoppai, la gorge serrée. Derrière une maison, aussi fugace que vive, une ombre s'était glissée. Ils semblaient m'appeler. Je me sentais perdre pied. Ils arrivaient.

— Aiden.

— C'est fait.

Leurs mots me semblaient lointains, comme sortis d'un songe. Je les apercevais, immobiles autour de moi, mais cela me semblait lointain.

Une seconde ombre apparut, disparut. Je fermai les yeux, me persuadant rêver. Pourtant, la terreur s'insinuait lentement en moi. C'était comme si elle ne m'avait jamais quittée et qu'elle reprenait simplement sa place. Là, dans mon cœur. Là, dans ma tête. Là, dans mon souffle. Là, dans chaque cellule.

— Il faut qu'on avance.

Sean me semblait pressé, tout autant que calme. Il énonçait un fait, auquel je ne pouvais pas accéder. Je tremblais. Ma propre réaction ne m'aidait en rien à mieux gérer la situation. J'avais peur de ma peur. C'était bien la première fois. Jamais je n'avais été aussi terrorisée face à eux.

Mes jambes lâchaient lorsque deux mains me maintinrent debout. Je ne voyais plus très bien, un voile occupait tout mon espace visuel. Seules des silhouettes sombres semblaient percer la brume.

— Minah !

Je me rappelai subitement les flammes, cette douce chaleur, ce réconfort. Elles pourraient me sauver, elles. Je ne savais plus si mes yeux étaient ouverts, si mon corps était couché, si je vivais. En revanche, je le percevais, là, dans mon cœur. Là, dans ma tête. Là, dans mon souffle. Là, dans chaque cellule. Le feu se répandait en moi, me ramenait, me consolait. Si j'étais morte, je renaissais. Si je vivais, je m'accrochais à la vie.

— Tu es sûr de toi, Aiden ?

— Fais-le.

L'instant d'après, je me sentis terriblement fatiguée. Il me semblait que je n'avais pas dormi depuis des jours, des semaines, des mois. Tous mes muscles se détendirent en même temps et je me sentis tomber. C'était d'ailleurs un sentiment bien étrange. Ce n'était pas comme trébucher ou faire un malaise. J'avais la sensation d'être happée par quelque chose de plus fort, de plus irrationnel. Le sentiment d'être englouti me fit suffoquer, chassant le repos. Je voulais battre des mains, des pieds, de la tête. J'avais le devoir d'agir, de riposter, de me battre. Je le sentais. Mais aucun membre ne me répondait plus. Je ne pouvais plus rien faire.

J'eus envie de pleurer, de sangloter, de supplier. Sans trop savoir à qui je m'adressais. Je devais essayer. Survivre, même si j'étais condamnée. Ils m'avaient eue. J'en étais certaine, car je ne ressentais plus rien.

— Minah.

Aiden. Je devais l'appeler, le presser, le diriger vers moi. Oui c'était l'attitude à avoir. Il me sauverait, lui. Il était aussi vif que l'éclair, aussi puissant qu'une explosion. Mike ne lui poserait aucun problème. L'Obscur ne serait qu'une brise, un petit picotement sur sa route.

Puis, je perçus la chaleur et je compris.

Je n'étais nullement entre les mains ennemies. Je n'avais nullement besoin d'appeler à l'aide. Je n'étais nullement en train de mourir. Aiden était à mes côtés et avec lui, la mort n'avait plus de sens. Sitôt cette conclusion passée dans mon esprit, je soupirai. D'abord, de soulagement. Ensuite, d'aise. Je n'avais rien à craindre et le sommeil qui ne cessait de m'appeler était le bienvenu.

Je venais tout juste de renaitre, et voilà que les rêves m'emportaient à leur tour.

Il faisait noir, tout noir. Je ne ressentais rien, mais il me semblait qu'une lumière s'approchait de moi. Elle tentait de me convaincre de revenir. Il faisait bon, ici, dans cet endroit sombre, mais apaisant. Il était bon, de ne plus trop penser.

Le temps, qu'était-ce donc ? Sans horloge, sans tic-tac, sans vie, il n'avait plus de sens.

L'espace, que représentait-ce donc ? Sans horizon, sans bâtiment, sans repère, il n'avait plus de sens.

Plus rien n'avait de sens. Je semblais flotter, m'écraser au sol, marcher. J'étais tout à la fois. C'était agréable, plaisant, enivrant. J'avais l'impression de me droguer dans ce néant. J'étais toujours attirée par lui, et par ce vide en lui.

Avais-je les yeux fermés ? Peut-être bien. Ce détail ne m'inquiétait pas non plus. A y réfléchir, je ne ressentais pas même mon cœur battre. Je n'entendais pas ce « boum, boum » familier dans ces moments, où cette seconde s'arrêtait entre nous.

Une explosion retentit dans mon crâne. Un « boum » beaucoup moins appréciable qu'un battement. On frappait à l'intérieur de moi-même et ce désagrément était horrible. Pourquoi ne rien percevoir était si plaisant, alors que ce toucher était dérangeant ? Le vide était le mieux.

Tout se tut et je repris mon flottement, mon écrasement, ma marche. J'étais prête à partir, à m'envoler. Et la brûlure me retint. C'était fort, intense. Cela me brisait, même si ça n'avait pas de sens, dans cet endroit.

Un point lumineux apparut au loin. Il me semblait qu'il se rapprochait, à mesure que je fermais les yeux, pour me soustraire à son agressivité. La lumière m'appelait cependant. Elle tentait de mon convaincre de revenir. Je voulais m'en débarrasser, elle était nocive pour moi.

Je savais à présent que mes yeux étaient ouverts, car ils me piquaient devant tant de clarté. Comment une simple tache pouvait avoir tant de force ?

— Reviens.

La peine me saisit en plein cœur. L'inquiète avait percé, dans le timbre suppliant. Pourquoi avais-je réagi ? Cet endroit était meilleur. Rien d'autre n'avait de sens. Et pourtant, je me mis à courir vers la lumière. Plus j'étais blessée, mieux je me sentais. Plus j'avançais, mieux je me portais. Plus je m'approchais, mieux je voyais.

La lumière n'était pas une lampe, mais un feu. Brillant, étincelant, envoûtant. Epuisée, je me stoppai. Il me semblait que quelques pas me séparaient de ces flammes. Elles dansaient et je comprenais les mots qui en résultaient. « Reviens-moi. Relève-toi. Bats-toi. Crois-en moi. »

Je pleurai totalement. Sans pouvoir m'arrêter. La voix familière trouvait un écho des plus improbables en moi. Mille émotions me traversaient à présent et le noir profond que je venais de quitter m'horrifiait à présent. Le mal avait failli m'engloutir et je me sentais désolée envers ce feu. Il valsait toujours ci et là, attendant quelque chose de ma part. Je tendis le bras, comme pour l'attraper, mais il me glissa entre les doigts.

« Vis pour moi. »

Sitôt, je bondis en avant, me plongeant tout entière dans cette couleur rouge vif. Je n'avais pas peur, au contraire. Et je compris ce qu'attendait cette âme.

Je fermai les yeux, souris et lançai :

— Je t'aime.

L'instant d'après, je toussai, le regard fixé sur le bitume. Du sang s'y dessina et je pâlis une première fois. La seconde fut en relevant les yeux. Des silhouettes sombres se dessinaient plus loin devant moi.

La mort à ses troussesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant