Une semaine était passée. Une semaine calme, joyeuse et lumineuse. Le trio n'avait pas toujours été enthousiaste, mais les petits nains et Aiden avaient fait des efforts pour ne pas se laisser engloutir par l'inquiétude. Je portais chaque jour son collier, même si cela ne valait pas les flammes que je percevais en sa présence. J'arrivais néanmoins à me rappeler cette sensation familière grâce à la chaine.
Nous étions jeudi, j'étais donc accompagnée du plus jeune Luma. Je le regardais resplendir, j'entendais son rire, je passais mon bras sous le sien. Puis, en un éclair, l'effroi me saisit. Je soufflai son nom, tandis que je me sentais tomber dans le vide. La chute avait été vive, quasiment immédiate. L'obscurité m'avait envahie, éloignant ma lumière de moi. Enfin, je pensai son nom, très fort, avant de me retrouver dans cet espace, empli de noir.
Je ne voyais rien, je n'entendais rien, je ne sentais rien. J'étais perdue, quelque part dans le néant, mais vivante tout de même. Mon souffle était rapide et les pulsations de mon cœur peinaient à se calmer. Je pensais à Aiden, espérant que cela puisse le conduire à moi, que cela crée un chemin entre lui et moi. Je priais pour qu'il me libère rapidement. L'attente était bien plus angoissante que tout.
La respiration difficile, je me concentrai sur ce qui était essentiel : avoir confiance en Aiden et mes protecteurs. Ils viendraient.
Le cœur battant, je me levai. Mes yeux étaient ouverts, mais rien ne m'était visible. Je n'osais pas avancer, de peur de découvrir quelque chose de répugnant. Ou de terrifiant. Je me contentais donc de rester, là, les bras croisés sur ma poitrine, comme si ce geste allait pouvoir me protéger ! Je ne sais pas combien de temps cela avait duré. Quelques minutes, quelques heures, quelques secondes peut-être. Le noir qui m'entourait me faisait perdre toute notion du temps. Finalement, le son d'une lampe qu'on allume me conduisit à me retourner brusquement. Les sens alertes, mon cœur tambourinait fortement.
Derrière moi, je découvris une table et deux chaises. Rien de sophistiqué, des morceaux de bois collés entre eux pour la table et de la ferraille soudée pour les assises. Rien de rassurant donc. L'espace était éclairé, sans qu'aucune lampe ne soit pourtant visible. Comment était-ce possible ? Où étais-je ? Quel effroyable environnement !
Une ombre se découpa dans l'éclairage et je distinguai un sourire mauvais. Mon cœur se serra et le souffle me manqua un instant. Ma main vint s'accrocher à ma poitrine et je priai Aiden de venir me sauver très rapidement. Plus rapidement. Car à quelques mètres de moi, se tenait Mike, le chef de mes ennemis. Instantanément, je sus que je ne repartirai pas indemne de cet endroit. D'une façon ou d'une autre, il allait me briser.
Mike tira la chaise à côté de lui et s'y assit. Il ne prononça aucun mot, alors je restai immobile, tout en retrouvant mon calme. Les Obscurs se nourrissaient d'angoisse, de peur, de souffrance. Il me fallait les éviter. Plus mon ennemi serait fort, moins j'avais de chance de sortir vivante de cet endroit.
— Tu viens t'asseoir ?
Le ton était mielleux, séduisant. Sa voix rauque. Il exigeait, plus qu'il ne demandait.
Je serrai les poings, avant de m'approcher la démarche assurée. Il fallait que je tienne. A mon tour, je fis grincer la chaise et m'assis. Sitôt, des chaines vinrent m'entraver les chevilles. Adossée contre le dossier, j'avais le regard droit et déterminé. J'allais tenir.
Le sourire de Mike s'élargit encore et je frissonnai, malgré moi. Tout en lui respirait la violence, l'horreur et la mort. Etait-ce tout ce qui m'attendait ?
— Tu es si drôle, Minah, susurra mon bourreau.
Il appuya ses coudes sur la table et posa sa tête sur ses mains. Il ferma les yeux et exagéra son sourire. Tout sonnait faux, menaçant. Mon pouls s'accéléra, mais je tentai de garder contenance. Ne pas s'affoler, j'allais être libérée.
— Pourquoi donc ?
Ma question le fit éclater de rire, un rire grave, moqueur, effrayant. Il se moquait, et je n'en avais que faire. Ce n'était pas idiot, comme interrogation.
— Parce que tu auras beau paraitre confiante, ici, je sens que tu ne l'es pas.
A présent, il gardait une seule main sur la table, se donnant un air aguicheur. C'était bête et vain. Il ne m'aurait pas de cette façon.
— Je ne connais rien d' « ici », Mike.
Il siffla de surprise.
— Tu as donc appris mon nom, pas mal petite.
L'entendre me surnommer ainsi me rappela le soir de notre rencontre et le rêve forcé. Un tremblement me prit, incontrôlable.
— Donc laisse-moi t'apprendre ce qu'est « ici ».
Il se leva en un geste théâtral, puis désigna chaque recoin de l'espace.
— Cet endroit, c'est mon antre, mon chez moi. Je décide de ce qui s'y trouve, de qui s'y trouve, quand, où et comment. Rien ne peut sortir sans mon consentement, ni y entrer.
Il darda ses prunelles sur moi, comme pour appuyer ses dires, me les faire ressentir jusqu'au plus profond de mon être. Mais je croyais en Aiden. Je croyais en lui et ses capacités. En lui et sa détermination. En lui et à son désir de me sauver. Mon Soleil franchirait ses remparts, j'en étais persuadée.
— Il n'y a ni début, ni fin. Ni temps, ni espace. Être ici, c'est être perdu quelque part entre la vie et la mort, sans pouvoir choisir. Être ici, c'est souffrir, sans pouvoir s'enfuir.
Je me sentis vaciller sous le poids de ses sous-entendus. Il fallait survivre. Pour ma famille, pour mes amis, pour ma vie que je chérissais.
— L'espoir est un sentiment si futile, petite. Je les connais, tu sais. Tes sauveurs, tes protecteurs, cela fait deux siècles que nous livrons batailles. Enfin, en ce qui concerne Gabriel, Sean, Jérôme et Lucie.
Le quatuor le plus âgé.
— Les membres initiaux de leur groupe se sont malencontreusement éteint. J'ai eu le privilège et l'honneur de les broyer de mes mains et de m'extasier face à leurs cris de désespoir. Puis Arnaud est arrivé et tout a changé. Un détenteur du don de soin est une force certaine. J'ai décidé de les laisser souffler, un peu, mais pas trop longtemps quand même. J'ai failli briser Mélodie, ici. Mais ils ont réussi à trouver mes précieux alliés dans le même temps, alors je l'ai libérée. A l'époque, j'avais encore un certain sens de la camaraderie. Puis, le petit dernier est arrivé. Ah, c'est vrai qu'Aiden n'était pas encore de la bande, mais ils lui tournaient déjà autour, cherchant un moyen de le convaincre. Tu connais la suite ?
Non, et je n'avais pas envie de la connaitre. Le ton espiègle m'en apprenait déjà suffisamment sur ce qui était advenu.
— J'ai kidnappé sa bien-aimée, Rose. Je l'ai amenée, ici. Je l'ai découpée, ici. Je l'ai tuée, ici. Je l'ai emballée, ici. Puis, je l'ai déposée devant sa porte. Quelle bêtise. Aiden a été fou de rage, de colère, de désespoir, mais Gabriel en a profité pour s'allier à lui !
Mike criait à présent, furieux de ces souvenirs.
— Je pensais qu'en la tuant, il serait détruit ! Au lieu de cela, il en a décuplé ses forces ! Aiden peut être surprenant, parfois. Il est le plus jeune, le plus vif.
Mike s'approcha de moi, tel un serpent.
— Mais tu sais quoi ? Ce n'est pas grave, affirma-t-il à côté de moi.
Je soutins son regard, faute de pouvoir m'éloigner. Il baissa sa tête vers moi et, dans le creux de mon oreille, me souffla :
— Si je ne l'ai pas détruit, il y a vingt-cinq ans de cela, cette fois, je suis sûr de l'anéantir.
Mon ennemi se redressa, tandis que mon cœur s'affolait. Que voulait-il dire ? Me faire comprendre ? Comment pouvais-je conduire à sa perte ? Puis Mike ricana, si fort, si intensément, que mes oreilles se mirent à bourdonner.
Ici, il n'y avait rien. Hormis lui et son allégresse, lui et son désir de souffrance. Hormis lui et moi.
La mort m'avait attrapée.
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La mort à ses trousses
FantastiqueMa vie suivait son chemin, sans trop d'embûches. J'avais dix-sept ans, je la croquais à pleine dents. Je n'attendais que de vivre un amour beau et fort. Et puis, un soir, tout a basculé. Le bonheur que j'éprouvais a volé en éclats. Dix minutes, tout...