Et tout est dit

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Castiel a appris avec les années à vivre avec ses cauchemars. Éveillés ou dans son sommeil, ils ponctuent ses journées comme les tic tac d'une horloge déréglée.

Ils l'usent en lui rappelant constamment ses échecs, les horreurs d'une guerre dont il ne comprend toujours pas les enjeux mais surtout ils font de sa vie un ressassement perpétuel, une monotonie de plaintes et complaintes. Ils l'empêchent de se projeter plus loin que demain même si d'avenir, il ne s'en voit nul autre que de survivre.

Il ne sait pas ce que cette Visyak peut lui apporter, il ne lui fait pas encore assez confiance que pour lui vomir sa noire bile. Leurs deux rencontres se sont soldées par plus de silence et d'échanges de regards que de mots. Mais elle a su trouvé le peu qu'il fallait pour lui faire prendre conscience qu'il tient plus à la vie qu'à lamort.

Ce constat le tue, aussi paradoxal que cela puisse l'être.


Ils en sont à leur troisième face-à-face. Cette fois-ci, il est officiel, plus formel. Enfermés dans le bureau que Mildred met à la disposition du médecin quand ses résidents refusent de la voir ailleurs qu'entre les murs protecteurs de cette maison.

Visyak est assise dans un fauteuil. Elle parle et cela surprend Castiel avant qu'il ne souvienne qu'elle est psychothérapeute et non psychiatre. Les deux images ont tendance à se confondre dans la mémoire collective.


Elle se présente, explique son travail et ce qu'elle attend de lui. Ce contrat officieux qu'elle veut signé d'un simple hochement de tête. Même si avant tout chose, elle veut tisser entre eux une relation de confiance.

Castiel et la confiance, une longue histoire de désamour. Entre la trahison du père envers le fils, de l'armée envers ses soldats et d'un pays envers ses vétérans, il lui est difficile d'accorder du crédit à ce mot.

Là, il ne l'écoute plus. Il se tient légèrement de profil, ce qui lui permet de garder un œil sur la porte ainsi que sur la fenêtre.Toujours aux aguets, prêt à réagir au moindre bruit suspect.

Hyper vigilance...

C'est un terme que Benny utilisait souvent. Passe sur son visage, un voile de nostalgie amère. Ce passé qu'il pourrait toucher d'une main tendue. Si proche et si lointain à la fois.

"Novak ? "

La voix de Visyak le ramène au présent.

"Vous pensiez à quoi ? "

"Portland ", répond-il après une longue hésitation, détournantles yeux de la fenêtre et d'hier.


Elle lui propose un jeu idiot. Un mot, un autre...

Il tique en levant la tête vers elle. Il cherche à comprendre. Elle l'encourage d'un sourire. Stylo d'une main, carnet de l'autre.

Il faut croire que tous les médecins aiment à s'attacher aux vieux rituels, se fait-il la réflexion.

"Si je vous dis, Portland, vous pensez à quoi ? "insiste-t-elle.

Il la toise. Il n'a pas envie de lui répondre et pourtant : "Invisible ", sort tout naturellement.

"Invisible ? ", répète-t-elle, en posant son stylo pour sefocaliser sur son patient.

Mais Castiel n'a rien d'autre à dire. Ce mot à lui seul contient toutesles vérités. Les siennes.

Elle opine et attend.

Le chasseur et le soldat : Les invisiblesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant