Entre les barres

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Castiel n'a jamais jusqu'ici poussé la porte de cette salle de bains commune, qui n'a d'ailleurs de commune que le fait que tous les résidents peuvent en user.

Une baignoire balnéo en angle et, sur la droite, une douche à l'italienne. À gauche, un meuble avec tout le nécessaire de toilette et là, juste à face à lui, un miroir mural.

Il entre et referme la porte derrière lui. Il pousse sur ses roues et vient se placer devant celui-ci.

Il évite son reflet, fixant le bas du miroir et les roues de son fauteuil, refusant d'affronter son double.

Dans des gestes nerveux, il ôte son T-shirt qu'il garde roulé en boule sur ses cuisses, entre ses mains gantées.

Durant leurs deux dernières séances, Visyak l'a initié à la relaxation et tout particulièrement à la respiration thérapeutique. Si, au départ, Castiel s'est montré réticent, le souvenir de Gadreel et ses mêmes conseils le hantant encore, il a fini par s'incliner. Respirer l'aide à garder le contrôle, il le sait, il l'a déjà expérimenté par le passé. La voix de la psychothérapeute l'accompagne, tout comme ses mains qui, imperceptiblement, glissent sur ses bras.

Il les a repoussés...

Elle a réitéré ses gestes, il a lâché prise...

Il lui faut se réapproprier le droit au toucher, tant vis-à-vis des autres que de soi.

Il lui faut surtout se réapproprier son image. Parce que même si elle ne correspond plus à ce qu'il était, elle n'en demeure pas moins lui.

Lui,ses cicatrices, le bordel dans sa tête et, aujourd'hui, ses nouvelles jambes qu'il abhorre autant qu'il les révère.

Il ferme les yeux.

Respire...Expire

Respire...Expire

Prendre conscience de ce qu'il est... et n'est plus. Chasser l'angoisse qui naît.

Il rouvre les paupières. La pièce est plongée dans une douce lumière tamisée et un léger parfum de savon flotte dans l'air. Il se concentre sur chacune de ces sensations et lève les yeux sur ce frère d'armes. Ce double qu'il doit accepter : maudit ou pas.

Il porte la main à son visage et en souligne les traits du bout des doigts. Les quelques cheveux gris qui parsèment sa tignasse ébouriffée, la barbe naissante qui lui ronge les joues, les pattes d'oie au coin de ses yeux, ses lèvres gercées... Les traits fatigués et ce bleu qui retrouve peu à peu son éclat d'hier, vivant même si lointain.

Lui et l'autre restent ainsi face-à-face plusieurs secondes. Peut-être même minutes. Castiel n'a plus vraiment la notion du temps, il en est encore à réapprendre celui des jours. Pour la première fois depuis qu'il a ses prothèses, il se regarde vraiment.

Il tord ses doigts sur son T-shirt avant de l'écarter. Il est surpris par la manière dont les muscles de ses bras saillent, même ainsi, au repos. Les mois à pousser son fauteuil ont laissé des traces. D'une main hésitante, il trace les muscles qui roulent depuis son torse jusqu'à sa sangle abdominale, premiers effets de ses séances de kiné. Il s'arrête sur une première cicatrice. Une brûlure à hauteur de clavicule.

Respire...Expire.

Il laisse tomber le T-shirt au sol et sa main descend jusqu'à ses cuisses, tout du moins ce que ses prothèses en laissent encore paraître.

Son sexe déforme le tissu de son boxer et, par écho, de son short. Seules les érections matinales et le souvenir de ces éclats d'émeraude ravivant de vieux souvenirs, donnent encore vie à ce membre aussi fantôme que ses jambes.

Le chasseur et le soldat : Les invisiblesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant