Un bout de trottoir

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Il est 7 heures. Tout doucement la ville s'éveille. Les ombres de la nuit ont laissé place aux lumières du jour. Les premiers travailleurs sortent des bouches de métro comme des fourmis de terre.

Le bruit des talons ne sont plus les mêmes, les visages non plus. La vie a repris son autre cours.

Comme tous les jours depuis plusieurs mois, quand les cauchemars ou les crises n'ont pas ravagé son sommeil, Clarence vient s'installer pour quelques heures près de la sortie du parc.

Il ne tend pas la main, n'affiche pas de pancarte et ne pose aucun gobelet au sol. Il reste juste là, muet, se terrant dans une folie silencieuse qui l'emporte lentement.

Il lève parfois la tête quand un habitué vient le saluer en lui glissant quelques pièces ou, plus rarement, un billet dans la main.

Il sourit, lointain, quand un autre lui offre un sandwich ou un café.


Son quotidien... Un bout de trottoir... Un bout de ruelle... Un bout de rien.

Il regarde ses mains gantées, ses moignons cachés sous les pans de son baggy usé.

Seul avec sa souffrance, seul avec l'inexprimable, l'inextricable.Toujours vivant, se raccrochant à cette flamme qui continue pourtant de lui brûler les ailes. Il n'a pas le droit d'abandonner, mais il est fatigué de se battre. Son corps lâche, petit à petit.

Il ne va plus au centre. Il ne veut plus les voir, ces hommes reflet d'un passé qu'il fuit. Ses crises sont devenues plus aiguës, il sait être une menace pour les autres et ça le tue.

Il se fait peur, ne se comprend plus et perd le contrôle.


Il fume de plus en plus, même si l'effet est à double tranchant,calmant ses angoisses et les provoquant à la fois. De l'herbe, il est passé à la résine, mais ça ne l'aide pas, ça repousse juste l'échéance. Il évite les drogues dures. Un ancien lui a déconseillé d'essayer, les flashback se font encore plus violents et la douleur plus vénéneuse.

Le regard vague et fixé sur le trottoir, il observe l'enfer qui le toise et lui tend les mains.

Combien de soldats sont assis à la droite du diable ?


Une ombre dans son champ de vision, il sursaute et sa main, par réflexe,plonge dans son sac latéral et saisit son couteau sans le sortir. Il relève la tête, le soleil lui frappe les yeux avant qu'il ne les baisse.

Un enfant lui tend un cornet de glace.

" Tiens,Monsieur ", en lui souriant. " J'ai pris vanille chocolat... Tu aimes ? ", en insistant pour qu'il le prenne.

Clarence lève la main, hésitant.

Un autre visage se superpose à celui du petit garçon. Celui d'un jeune afghan et de son paquet de pistaches salées. Un sourire et :

"Aya tasu yw tsh ghwara y ?" * 

Clarence se met à trembler et recule brusquement, heurtant le grillage. Le petit a peur, lâche sa glace, se rétracte et se raccroche à sa mère.

Celle-ci s'éloigne en rassurant son fils. Lui expliquant que le monsieur est malade. Que ce n'est pas de sa faute. Que c'est la guerre.Que c'est comme Papa...

Clarencenel'entend pas. Il essaye de taire les souvenirs, écrase ses paumessur ses paupières mais les images refusent de le quitter.


Le chasseur et le soldat : Les invisiblesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant