Le peignoir et la cisaille

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Le couloir était silencieux. Hastings venait de fermer sa porte de chambre et Japp était sorti dès la fin de la partie de bridge pour donner les quelques directives de nuit aux agents de protection qui prenaient la relève.

Le domaine disposait d'assez de chambres pour loger tous les agents de police. Et Miss Blackstone était assez ravie de nourrir de nombreux jeunes gaillards. Cela lui rappelait son service de cantinière durant la grande guerre.

Amelia et Poirot étaient chacun devant leur porte. Ils étaient perdus. Cette soirée avait été à la fois trop courte car ils devaient maintenant s'isoler mais aussi trop longue car ils s'étaient épiés sans cesse sans pouvoir se toucher.

- Vous voulez vraiment rejoindre votre chambre ? demanda Amelia au travers du long couloir.

- Il est bientôt minuit. C'est un peu tard pour aller se promener, ne trouvez-vous pas ? sourit Poirot qui fixait sa poignée de porte.

- Je ne pensais pas à une promenade au jardin... Vous venez ?

Poirot lâcha la pression sur la poignée de sa porte. Il se recula puis hésita.

C'était le point de non-retour. S'il s'abandonnait à nouveau à la jeune femme, il n'aurait plus la volonté de s'en défaire ensuite. Craquer ce soir sous-entendait un total bouleversement de sa vie.

Il fronça les sourcils. Ses élans du cœur se heurtaient aux cheminements cartésiens de ses petites cellules grises. Son esprit était dans le brouillard total. Et il n'en avait pas l'habitude. Il s'était toujours protégé de ce désagrément. Mais il avait fallu qu'il croisât le regard et le parfum d'Amelia dans un wagon de train en plein hiver...

Une douce chaleur sur sa main le sortit de ses pensées.

Amelia était à ses côtés.

- Vous hésitez ?... lui susurra-t-elle amoureusement.

Il releva la tête et observa les lèvres de la jeune femme. Elles étaient rouges et frémissantes de désir.

Elle n'eut pas le temps de le relancer que déjà il l'embrassait fougueusement. Ses mains parcouraient frénétiquement le dos et les reins d'Amelia.

Il se figèrent. La porte d'entrée venait de claquer. C'était certainement Japp qui rentrait et, quelques instants plus tard, il les croiserait.

Pas le temps de rejoindre la chambre de la maîtresse de maison. Elle était trop loin au bout du couloir à côté de celle d'Hastings qui avait hérité de la chambre solaire.

Amelia sentit une douleur dans l'épaule alors que l'on entendait à peine les pas feutrés qui gravissaient lentement les premières marches du grand escalier. En fait, c'était Poirot qui avait ouvert rapidement sa porte de chambre et y avait attiré vivement la jeune femme.

Ils soufflèrent enfin, persuadés d'avoir évité le regard de l'inspecteur.

***

- Combien d'acres selon vous ?

- Pas la moindre idée, chef.

- Cela ne doit pas valoir tant que cela... Des terres dans le West Riding
... C'est un trou paumé à des mille de Londres.

- Moi je suis né à Camden et je n'ai jamais quitté la capitale... Ou seulement pour les vacances sur la côte... Alors vous savez.

L'inspecteur ne venait pas de gravir les escaliers pour le premier étage. Avec un agent, il fumait une cigarette près de la volière, tentant d'évaluer la superficie du domaine en laissant son regard se perdre au loin.

Poirot : Une Pause à Helmsley (2nde partie)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant