Le cendrier et la déneigeuse

37 5 0
                                    

- Vous n'êtes pas ici juste pour me présenter vos condoléances, n'est-ce pas ? lança Pritchard dans un instant de bravoure.

- Je suis si prévisible que cela ?... plaisanta Beitling qui tira une grosse bouffée sur sa cigarette.

Il se dégagea de son dossier, la cigarette en l'air, cherchant du regard un cendrier.

- ... Mais je me rends compte que je ne vous avais pas demandé si je pouvais fumer dans cette pièce... Joli bureau que celui du directeur général... Futur président même peut-être... sourit l'américain.

Pritchard sortit de son tiroir un petit cendrier en argent qu'il posa sur le meuble et qu'il fit glisser jusqu'à son hôte indésirable.

- Et si nous allions au fait. grimaça Pritchard qui savait bien qu'il ne se débarrasserait pas de cette sangsue.

Son cerveau s'agitait... Chantage...

- J'ai un besoin imminent d'argent. Peut-être pourriez-vous m'aider. Et le cas échéant, je crois que j'aurai aussi de quoi occuper la petite... Anny. C'est bien là son prénom ?

- De l'argent. Ici c'est une compagnie d'assurances. Je ne suis pas banquier ni prêteur sur gage. Je ne comprends pas. Quant à la bonne, je suis étonné que l'on vienne à parler d'elle... tenta le londonien.

- Vraiment ? Vous ne comprenez pas ? Je ne suis pas votre ennemi. Nous pourrions être utile l'un à l'autre. Vous aimez l'argent... Peut-être presque autant que moi. Et je crois que nous pourrions ensemble faire des affaires très juteuses.

- Des affaires très juteuses ?... Comme vous le faisiez remarquer tout à l'heure, cette compagnie fonctionne parfaitement bien. Et ce qu'elle rapporte me suffit amplement...

- Sans compter l'héritage de votre vieille tante... Mais que serait cette compagnie avec un directeur général en prison pour avoir fomenter le meurtre de sa chère tatie adorée ? Ttt... Ttt... Je n'ose l'imaginer. déclara froidement Beitling qui tira à nouveau sur sa cigarette.

Pritchard soupira profondément. Il n'avait décidément pas les épaules et la force de caractère pour tout cela. Il avait vu trop grand. Il allait être broyé. Il sentait la sueur couler le long de ses tempes.

- Eh bien... Ne vous mettez pas dans un tel état !... J'ai dans mes relations des individus qui auraient de quoi rougir cent fois plus que vous, qui ont fait pire qu'à pendre et qui se la coulent douce sous le soleil de la Californie. Ils dorment comme des nouveau-nés sur des matelas de billets verts... et ont été assez malins pour s'entourer de bonnes personnes qui leur assurent de n'être jamais inquiétés... Soyons amis, voulez-vous ?

Le visage de Beitling devint soudainement sympathique et il tendit une main amicale à Pritchard qui resta tétanisé dans son fauteuil de cuir.

Beitling se referma quelques secondes devant l'absence de réaction de son interlocuteur mais à nouveau un grand sourire s'afficha sur son visage.

- Je suis descendu au Savoy pour deux jours. J'y reste joignable. Appelez-moi !

Sa dernière phrase se voulait n'être qu'une invitation mais pour Pritchard c'était une injonction. Il vit sortir Beitling sans pouvoir déplacer son corps ne serait-ce que de quelques millimètres. Il était pétrifié. Tout basculait.

Il n'était qu'un ridicule poisson prédateur qui avait voulu plonger dans le grand bain infesté de requins et piranhas qui le dévoreraient en simple petit hors d'œuvre.

Il passa ses paumes de mains moites sur son visage trempé. Il fallait se poser, réfléchir. Beitling ne lui avait pas demandé une somme d'argent dans l'immédiat. Il parlait plutôt d'une sorte d'association, de protectorat. Pritchard ne connaissait rien à tout cela.

Poirot : Une Pause à Helmsley (2nde partie)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant