1. Accalmie

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Il attendait. Ses habits, son éternelle tunique obscure, sa longue cape ténébreuse, contrastaient avec son épiderme pâle comme la Lune. Ses doigts, dénués de gants, pianotaient un à un contre le baril sur lequel trônait un verre de rhum, à moitié vide. Sa tête était penchée, son menton reposait dans sa paume gauche. Ses mèches, aussi noires que la nuit, dissimulaient une partie de son visage. Ses pupilles, plus sombres que d'ordinaire, fixaient intensément le vide. Une frontière semblait s'être érigée entre la réalité et lui, réfugié dans sa propre bulle invisible. Il semblait éperdument égaré dans ses pensées, dans ses souvenirs tortueux. Les éclats de voix, enthousiastes, irrités, bouleversés, ne l'atteignaient guère, pas plus que la chaleur étouffante.

Kylo Ren, ou plutôt, lui sembla-t-il à cet instant, Ben Solo l'attendait.

Leur dernière connexion, orchestrée par la Force, se joua à nouveau dans son esprit, claire, précise. Elle sillonnait à vive allure dans la jungle dense d'Ajan Kloss, comme elle le faisait toujours avant que l'écho de ses sentiments et de ses réminiscences ne devienne assourdissant. La solitude et l'effort la libéraient, pour quelques heures au moins, du poids pesant qui s'était installé dans sa poitrine depuis la disparition de Luke.

Hier, elle n'était rien d'autre qu'une pilleuse d'épaves de Jakku, une jeune fille pleine d'espoir attendant patiemment chaque jour le retour de sa seule famille. La rencontre inattendue avec un droïde avait tout bousculé. Elle s'était attachée, rapidement, au stormtrooper déserteur, baptisé Finn, avait trouvé un père en Han Solo, contrebandier désinvolte, puis en Luke Skywalker, une mère en Leia Organa, à jamais dévoué à la Résistance et enfin un ami en Chewbacca, puis en Poe Dameron, pilote tête brulée.

Elle avait dangereusement dansé avec des flammes brûlantes et mortelles, croyant avoir découvert une âme, sœur à la sienne, traversant les mêmes angoisses, les mêmes doutes, les mêmes tourments. Elle avait souhaité l'aider, du plus profond de son être. Elle désirait ardemment sa présence à ses côtés, pour l'épauler, l'accompagner sur le chemin ardu de la rédemption, et surtout, pour ne plus être seule, plus jamais. Mais le destin, joueur, cruel, en avait décidé autrement.

Aujourd'hui, devenue le pilier de la Résistance, la dernière Jedi, l'ultime espoir de la galaxie, ses sentiments, l'animosité, l'effroi, l'incertitude, les remords, le désarroi, tout s'emmêlait étroitement dans son esprit. Plus que jamais, elle se sentait abandonnée.

Alors, quand, à bout de souffle, ruisselante, vidée, elle l'avait aperçu, adossé au mur de son compartiment, la tête plongée au creux de ses bras, son cœur s'était arrêté, littéralement. Elle lui en voulait toujours. Terriblement. Mais, sentant sa présence, il avait relevé la tête, et toute trace de hargne s'était effacée de son visage. Ses yeux sombres étaient noyés de larmes, dévalant ses joues comme un ruisseau. Il avait semblé las, angoissé, démuni. Pour la première fois, elle avait assisté à un élan de faiblesse. Le voir si anéanti, si désemparé, avait décuplé sa compassion, à jamais pérenne. Les secondes s'étaient égrenées, elle n'avait pas esquissé le moindre mouvement, et s'était contentée de plonger ses prunelles dans les siennes, pour essayer d'y lire sa douleur monstrueuse, de comprendre son désarroi ravivé.

Accepte une accalmie, Rey. Je t'en prie.

Les lèvres de Kylo Ren étaient restées étroitement liées. Pourtant, elle l'avait entendu, comme un faible murmure. Il avait sollicité leur lien, qui semblait s'intensifier toujours plus à travers la Force. Parce qu'il n'avait pas voulu briser le silence absolu, craignant que le moindre bruit ne la fasse s'évaporer. Un être obscur suppliant son double lumineux.

Demain, à la tombée du jour. Sur Azulla.

Elle avait gardé le silence, immobile, aucun geste ne trahissant sa pensée. Mais il préférait le mutisme à un refus péremptoire, ou à une de ses répliques acerbes, tranchantes, dont elle seule avait le secret. Alors ils avaient simplement attendu, patiemment. Leurs iris ne s'étaient pas détachées, profondément ancrées, inséparables, comme si cette tangence visuelle était aussi une tangence physique, comme si leurs mains étaient intimement entrelacées. Un signe de réconfort, d'apaisement.

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